Ministère de la Communauté française de Belgique 


l'art même
# 9
 
 
La Création Vidéo en Belgique
 
AUX ORIGINES ...
LA CRÉATION VIDÉO EN BELGIQUE PEUT ÊTRE CERNÉE DE MANIÈRE TRÈS DIRECTE. IL FAUT CERTES REMONTER AU DÉBUT DES ANNÉES 70, À LIÈGE ET À ANVERS. EN EFFET, DÈS 1970, JACQUES CHARLIER, AVEC LA COLLABORATION DE GERRY SCHUM, ORGANISE UNE RENCONTRE ENTRE PLUSIEURS ARTISTES BELGES AFIN DE RÉALISER LA PREMIÈRE VIDÉO D'ART BELGE. FAUTE D'UN MATÉRIEL ADÉQUAT, ELLE VOIT LE JOUR SOUS LA FORME D'UN FILM 16 MM ET SERA PRÉSENTÉE DANS LES GALERIES ANVERSOISES X ONE ET WIDE WHITE SPACE, L'ANNÉE SUIVANTE.
 

Toujours en 1970, à l'occasion d'une soirée vidéo-performance chez Frédéric Nyst, frère cadet de Jacques-Louis Nyst et où l'invité d'honneur était Otto Mühl, l'un des principaux représentants de l'Actionnisme viennois, Jacques Lizène prend connaissance de l'utilisation du matériel vidéographique alors en vogue, le fameux portapak Sony, à bandes 1/2 pouce, noir et blanc. Avec Guy Jungblut, responsable de la galerie Yellow, en Roture, ils forment le projet d'une réalisation vidéo liégeoise qui débouche, en novembre 1971, sur Propositions d'artistes pour un circuit fermé de télévision, la première manifestation d'art vidéo en Belgique rassemblant une cinquantaine d'artistes, dont Jacques Charlier, Jacques Lizène, Jean-Pierre Ransonnet, Jacques-Louis Nyst, Guy Vandeloise et Barbara et Michael Leisgen, pour ne citer qu'eux.

Comme l'expliquent J.P. Tréfois et G. Van Broeckhoven1, même si l'Internationaal Cultureel Centrum (ICC) devenait au même moment, grâce aux travaux de Flor Bex, le pôle principal de la production et de la diffusion vidéo en Belgique et en Europe, les deux actions pionnières de Jacques Charlier et de Guy Jungblut signifiaient le début d'un intérêt croissant pour la vidéo à Liège.

Le Cercle d'Art prospectif (CAP), fondé en 1972, théorisé et mené par Jacques Lennep, produira de nombreuses réalisations, sous l'idée maîtresse d'un art relationnel, dont l'ensemble se caractérise par une pauvreté des moyens techniques et un discours narratif, sociologique et humoristique. Dialogues avec une caméra, TV réalisme (1973-1974) est littéralement une "parodie relationnelle de communication entre l'homme et la machine"2. Lennep y entame un dialogue peu commun avec la caméra en agitant des drapeaux sémaphoriques; celle-ci, en bonne élève, répond aux injonctions. Avec Tentative de domptage d'une caméra et tentative pour échapper à la surveillance d'une caméra (1974), Lizène perçoit le matériel vidéographique comme un animal domestique. Il le flatte afin de lui faire faire le beau ou encore s'échine à vouloir s'y soustraire, mais en vain.

LIEUX ET STRUCTURES DE PRODUCTION POUR LA CRÉATION VIDÉO

Si en Wallonie, la Galerie Yellow est à l'initiative de l'intérêt pour l'art vidéo, l'ICC est l'organe, en Flandre, qui se préoccupe très tôt du nouveau médium. Plusieurs artistes francophones y trouvent d'ailleurs la structure d'accueil adéquate. Flor Bex s'équipe très tôt de matériel, le met à disposition des artistes et assume près de 80 % de la production belge d'avant 1977, - les studios seront fermés, en 1981-. L'essor de la vidéo en Flandre est marquée par les travaux de Lili Dujourie, Gary Bigot, Hubert Van Es, Léo Copers, etc. et sera relayée, après 1985, par les réalisations très créatives de Stefaan Decostere, mais aussi de Jan Vromman.

Hormis ces deux lieux, d'autres organes de diffusion et d'aide à la réalisation voient le jour. Vidéographie, l'émission de la RTBF-Liège (1976-1986), créée par Jean-Paul Tréfois, en collaboration avec Paul Paquay, d'abord lieu d'enseignement et de diffusion quant aux recherches internationales, comme celles de Nam June Paik, Bill Viola, Joan Jonas, Bob Wilson, etc., s'émancipe très vite en organe de production.

D'autres éléments viennent renforcer l'élan de la création vidéo belge: les télévisions locales et communautaires (TVL/C) qui, dès le milieu des années 70, s'équipent progressivement de matériel vidéo semi-professionnel avec l'U-matic et les premières régies de montage électronique, ouvertes à des créations personnelles, dont Canal Emploi et RTC, à Liège, furent sans doute parmi les plus perspicaces en la matière. Par ailleurs, plusieurs organismes subventionnés en partie par la Communauté française, tels que le Centre bruxellois de l'audiovisuel (CBA) et Wallonie Image Production (WIP), ce dernier créé en 1982, investissent unanimement dans la création vidéo de jeunes auteurs. Le réseau se diversifie et se démultiplie à Bruxelles - Image Vidéo, Vidéobus, GSARA - et à Anvers - Continental Vidéo.

A noter, enfin, le rôle des Universités et des écoles d'art, comme l'Université de Liège, la Katholieke Universiteit Leuven, l'Académie des Beaux-Arts de la Ville de Liège ou l'Institut Sint-Lukas, à Bruxelles. Ces institutions, par l'enseignement qu'elles professent, mais surtout par la volonté accrue d'inclure en leurs programmes un intérêt prospectif par le biais de séminaires spécifiques conduits par des personnalités (les frères Dardenne, Chris Dercon).

FOCUS

Jacques-Louis Nyst (1942-1993)
D'une rare sensibilité rhétorique, sans pour autant être dénuée d'humour, trop peu montrée, l'œuvre de Nyst peut être considérée comme la plus importante en art vidéo belge. La dimension narrative extrêmement prégnante emploie en terme métaphorique la relation comme coïncidence. Nyst joue de l'association libre pour raconter les objets, le quotidien, dans une poésie flamboyante qui concourt à la démultiplication des lectures. Les travaux des années 70 ont été compilés dans une conférence-performance sous le titre de L'Ombrelle en papier (1977)3 qui, simultanément, prend la forme d'une exposition, d'une vidéo et d'une publication (Ed. Yellow Now). S'y retrouvent entre autres: L'Objet (1974), La Boîte à musique (1974), Le Cygne et son Image (1975), Partition pour un mouton (1977), etc. Les années 80 sont quant à elles marquées par une étonnante trilogie Thérésa plane (1983), J'ai la tête qui tourne (1984) et Hyaloïde (1985) où les personnages centraux, Thérésa et Codca, sont interprétés respectivement par Danièle et Jacques-Louis Nyst.

Marie Jo Lafontaine (1945-)
Parler de la création vidéo en n'évoquant que le médium serait restrictif. J'en profite ici pour pointer le flou sémantique qui a longtemps caractérisé "la vidéo": support, médium ou dispositif? Le travail de Marie Jo Lafontaine œuvre autant sur la pratique vidéo que sur l'installation, et inclut de facto une part essentielle et significative dévolue au travail physique, sculptural de l'espace. Les deux thématiques centrales, le corps humain et la machine, où s'opère un glissement d'analogie dans la perception, singularisent notamment les pièces des années '80, telles que La Marie-Salope (1980), Round around the Ring (1982) et A las Cinco de la Tarde (1985). Magnifié par le traitement subtil de l'image (décontextualisation, profondeur de champ limitée, etc.) et par le montage, pensé de manière rythmique, chaque scénario trouve écho dans la scénographie de l'installation.

Koen et Frank Theys (1963-)
Si aujourd'hui Koen Theys est mieux connu en tant que plasticien, c'est en 1984, avec Diana, en tant que vidéaste, qu'il accède à la reconnaissance internationale comme premier lauréat du Video-Art Festival de Locarno. Œuvre majeure, opéra-vidéo, réalisé en collaboration avec son frère Frank, Lied van mijn land (1986-1989), propose une interprétation du Ring de Wagner. De manière globale le propos réflexif de l'œuvre des frères Theys repose de façon complexe sur la fascination et l'interrogation de la mythologie dans une maîtrise de la manipulation des images.

D'AUTRES MILIEUX POUR UNE MÊME DISCIPLINE.

Sont également à mentionner dans le contexte d'élaboration de la vidéo comme praxis, les premiers travaux, de type documentaire social, dont ceux de Jean-Claude Riga, sociologue de formation, et des frères Jean-Pierre et Luc Dardenne, qui fondèrent, en 1975, le Collectif Dérives. On peut, par ailleurs, y adjoindre Marcher ou la fin des temps modernes de Michèle Blondeel et Boris Lehman, en 1979, qui proviennent pour leur part, l'une, du théâtre, l'autre, du cinéma.

De manière générale, les débuts de la création vidéo en Belgique, à l'encontre des expériences internationales antérieures, telles que celles d'un Nam June Paik, dès 1963, à la galerie Parnass de Wuppertal, n'explorent pas le langage technologique propre, mais s'entendent comme le prolongement des démarches respectives. C'est ce qui explique, sans doute, l'abandon relatif de la discipline par la plupart des pionniers. Après l'engouement et l'intérêt procurés par la découverte d'un nouvel outil, le retour aux formes plus traditionnelles s'amorce, tandis que d'autres voient la naissance d'une vocation parallèle, comme ce fut le cas pour les Dardenne. Seul Jacques-Louis Nyst poursuivit une carrière en vidéo et en développa les aspects les plus sensibles.

Cécilia Bezzan

 

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