Mais peut-être faut-il parler
ici plus précisément de territoires féminins - quoi de plus hystérique
qu'une toile de Willem De Kooning, de plus proche d'un paysage de
Georgia O'Keeffe qu'une chanson de Neil Young? Quoi de plus féminin
que les anfractuosités pigmentées d'Anish Kapoor, de plus mâle que
certains reliefs d'Eva Hesse?
Disons qu'un (certain) art
de (certaines) femmes n'est pas un ghetto, un gynécée ou un féminisme.
Plutôt une forêt avec sa faune, sa flore et ses lois, à observer.
Gardons le cap dans ces eaux, tentons d'y voir clair. Tentons le
féminin, d'autres pratiques, d'autres pensées. Ménagères, érotiques,
mythologiques, buissonnières, corporelles donc intellectuelles.
Mais je suis encore dans la dichotomie pendant qu'elles courent
les rues, fendent les flots, battent la campagne. Qu'elles nous
renversent et bouleversent le monde - et vice-versa.
L'homme est un imbécile théorique
disait Duras, irriguons donc cette théorie, voilà peut-être du neuf
venant de l'autre, rafraîchissons nos entendements de statues, nos
corps secs. Avec leur intelligence nourrie de siècles, de marges,
de nerfs, de patience. Mais nous sommes ici aux limites décentes
des arts plastiques, déjà un peu dans la vie, l'amour, les biographies
inédites. On est de son sexe comme d'un pays disait Benoîte Groult,
sans doute, et les frontières sont encore trop marquées. Disons
que depuis une décennie, plus de femmes (s')exposent, heureusement.
Plus de femmes sont partout d'ailleurs, enfin. En voici quelques-unes
réunies en forme de panthéon ouvert, d'éloge libre.
Louise Bourgeois est toujours
là, elle qui pétrifie ses orages, les coud de préhistoriques membres.
Cindy Sherman révolutionne l'image, une image qui se contemple,
s'analyse, s'horrifie et nous laisse sans voix. Annette Messager
met les masques qu'on lui donne pour mieux détourner les clichés,
déjouer les pièges, elle se déguise en femme pour mieux montrer
du doigt la société des hommes. Rebecca Horn apprend à peindre avec
des mécanismes incontrôlables, avec la technique du ressassement
et de la gifle, Kiki Smith présente ses sécrétions sculpturales
pendant qu'Ann Hamilton fait pleuvoir du rose. Marlene Dumas nous
raconte, dans la crudité des huiles et Maria Lassnig (une pionnière
comme Louise - on m'a dit que Dorothea Tanning et Leonora Carrington
vivaient toujours, ces déesses-mères d'un siècle de révolutions
encore proches) peint des états d'âmes aux couleurs improbables.
Mona Hatoum construit des ustensiles de torture, des grilles pour
relire les choses alors que Yayoï Kusama avec ses lubies multicolores
parsème le monde d'un signe rond et souple.
Voilà pour quelques héroïnes
mais le temps - avec ses souvenirs et ses belles tapisseries - idéalise
tandis qu'ici et maintenant d'autres femmes nous montrent d'autres
chemins. Sylvie Ronflette fait tomber des fantasmes du ciel, Maya
Tell-Nohet invente des corps sans organes où l'esprit circule. Myriam
Hornard capitonne les jours, Liana Zanfrisco fait le ménage avec
les Parques, Lysiane Bourdon cuit ses rêves. Et Eirene Mavodones
élève de petits monuments à la gloire de toutes celles, ces grandes
dames, ces mères indignes, ces filles uniques qui plantent de nouvelles
généalogies, écrivent leur histoire et, partant, la nôtre. Ceci
en toute subjectivité, l'histoire, hélas, fera le tri, rangera ses
certitudes. (Merci aussi à Pipilotti, Ann Veronica, Rosemarie,Marie-France
et Patricia, Marguerite, Virginia, George, Olympe, Patti, Polly
Jean, )
François
Liénard
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