Ministère de la Communauté française de Belgique 


l'art même
# 10
 
 
POST-SRIPTUM A UN CREPAGE DE CHIGNONS
 
Mettre des impressions en boîte, voilà bien une idée d'homme en pensant aux femmes. Essayons d'abord d'endiguer les flux, les envies, cette force. Cerner l'indiscernable a priori. Disons que certaines œuvres n'auraient pu venir de mains ou d'imaginations masculines.
 

Mais peut-être faut-il parler ici plus précisément de territoires féminins - quoi de plus hystérique qu'une toile de Willem De Kooning, de plus proche d'un paysage de Georgia O'Keeffe qu'une chanson de Neil Young? Quoi de plus féminin que les anfractuosités pigmentées d'Anish Kapoor, de plus mâle que certains reliefs d'Eva Hesse?

Disons qu'un (certain) art de (certaines) femmes n'est pas un ghetto, un gynécée ou un féminisme. Plutôt une forêt avec sa faune, sa flore et ses lois, à observer. Gardons le cap dans ces eaux, tentons d'y voir clair. Tentons le féminin, d'autres pratiques, d'autres pensées. Ménagères, érotiques, mythologiques, buissonnières, corporelles donc intellectuelles. Mais je suis encore dans la dichotomie pendant qu'elles courent les rues, fendent les flots, battent la campagne. Qu'elles nous renversent et bouleversent le monde - et vice-versa.

L'homme est un imbécile théorique disait Duras, irriguons donc cette théorie, voilà peut-être du neuf venant de l'autre, rafraîchissons nos entendements de statues, nos corps secs. Avec leur intelligence nourrie de siècles, de marges, de nerfs, de patience. Mais nous sommes ici aux limites décentes des arts plastiques, déjà un peu dans la vie, l'amour, les biographies inédites. On est de son sexe comme d'un pays disait Benoîte Groult, sans doute, et les frontières sont encore trop marquées. Disons que depuis une décennie, plus de femmes (s')exposent, heureusement. Plus de femmes sont partout d'ailleurs, enfin. En voici quelques-unes réunies en forme de panthéon ouvert, d'éloge libre.

Louise Bourgeois est toujours là, elle qui pétrifie ses orages, les coud de préhistoriques membres. Cindy Sherman révolutionne l'image, une image qui se contemple, s'analyse, s'horrifie et nous laisse sans voix. Annette Messager met les masques qu'on lui donne pour mieux détourner les clichés, déjouer les pièges, elle se déguise en femme pour mieux montrer du doigt la société des hommes. Rebecca Horn apprend à peindre avec des mécanismes incontrôlables, avec la technique du ressassement et de la gifle, Kiki Smith présente ses sécrétions sculpturales pendant qu'Ann Hamilton fait pleuvoir du rose. Marlene Dumas nous raconte, dans la crudité des huiles et Maria Lassnig (une pionnière comme Louise - on m'a dit que Dorothea Tanning et Leonora Carrington vivaient toujours, ces déesses-mères d'un siècle de révolutions encore proches) peint des états d'âmes aux couleurs improbables. Mona Hatoum construit des ustensiles de torture, des grilles pour relire les choses alors que Yayoï Kusama avec ses lubies multicolores parsème le monde d'un signe rond et souple.

Voilà pour quelques héroïnes mais le temps - avec ses souvenirs et ses belles tapisseries - idéalise tandis qu'ici et maintenant d'autres femmes nous montrent d'autres chemins. Sylvie Ronflette fait tomber des fantasmes du ciel, Maya Tell-Nohet invente des corps sans organes où l'esprit circule. Myriam Hornard capitonne les jours, Liana Zanfrisco fait le ménage avec les Parques, Lysiane Bourdon cuit ses rêves. Et Eirene Mavodones élève de petits monuments à la gloire de toutes celles, ces grandes dames, ces mères indignes, ces filles uniques qui plantent de nouvelles généalogies, écrivent leur histoire et, partant, la nôtre. Ceci en toute subjectivité, l'histoire, hélas, fera le tri, rangera ses certitudes. (Merci aussi à Pipilotti, Ann Veronica, Rosemarie,Marie-France et Patricia, Marguerite, Virginia, George, Olympe, Patti, Polly Jean, )

François Liénard

 

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