Cécilia Bezzan :
Le refinancement du secteur des Arts plastiques peut être
qualifié d'historique, il passe de 35 à 52 millions.
Lors d'une conférence de presse, vous venez récemment
d'annoncer qu'il y aurait une part consacrée aux "expositions
de prestige". Pouvez-vous préciser?
Richard miller : La
répartition des ma-tières fait que Rudy Demotte s'occupe
davantage de la diffusion culturelle, tandis que pour ma part, je
me concentre sur la création artistique et culturelle. Ensemble,
nous menons un combat commun, qui se concrétisera au moment
où la loi de refinancement portera ses effets (2003-2004),
pour que la culture, au sens large, ne soit pas mise sur le côté,
c'est-à-dire pour que les nouveaux moyens affectés
ne profitent pas uniquement à l'enseignement. Aussi, l'année
2002 demeure budgétairement difficile, cependant elle rencontre
tous les engagements pris par la Communauté (contrats programmes,
conventions de subventions, etc). Personne ne sera négligé,
nous assumons même des augmentations. Cette année,
et pour la première fois en Communauté française,
la bulle financière profite à la culture, quelques
120 millions répartis pour moitié entre Rudy Demotte
et moi-même. Il est vrai que de nouveaux axes de travail sont
prévus. Je souhaiterais insister fortement sur la création.
Les expositions organisées durant cette année 2001
étaient davantage tournées vers les créateurs
contemporains, à Venise dans le cadre de la Biennale, à
Bruxelles avec Tour & Taxis et les colloques COBRAC, à
Paris avec l'exposition au Passage de Retz. J'estime qu'il doit
y avoir deux types d'expositions : celles plus petites, plus ciblées
et celles plus prestigieuses, indispensables pour créer l'intérêt
du public.
C.B. : A ce titre, une
image de marque en guise d'une meilleure visibilité est une
chose. Mais quand est-il réellement du travail réalisé
en amont ?
R.M. : Ce travail doit
être réalisé, il s'agit de responsabilité
politique. Il y a convergence d'intérêts entre le pouvoir
public et l'artiste. En d'autres termes, la création ne se
déploie pas, si le pouvoir public n'effectue pas de commande,
c'est lui qui maintient totalement l'activité artistique.
Prenons pour exemple l'Opéra royal de Wallonie. Sans subside
communautaire, il n'y a plus de création. De même pour
le cinéma, s'il n'y a pas tout un ensemble d'appuis financiers,
fiscaux, européens, etc. il serait contraint de vivoter avec
peu de moyens. Par ailleurs, le phénomène de surmédiatisation
que connaît notre époque est sans précédent
dans l'histoire de l'humanité. Le risque réel de voir
disparaître la création existe, résultat d'une
uniformisation complète des programmes. Garantir la création
est une responsabilité publique. J'insiste beaucoup sur le
fait que s'il y a diffusion culturelle, il doit y avoir soutient
à la création.
Bernard Marcelis : Qu'en
est-il exactement de l'aide à la création? S'agit-il
d'un soutien apporté aux artistes ou de moyens accordés
aux opérateurs culturels pour favoriser la production d'uvres
?
R.M. : Il y a des aides
aux artistes qui sont prévues et qui seront renforcées,
mais il y existe aussi d'autres mécanismes à alimenter.
Par exemple, le financement d'une exposition est un mécanisme
indirect, mais qui permet de sortir, de montrer; c'est une lisibilité,
une carte de visite. Il y a aussi une ligne politique et une ligne
budgétaire en faveur de l'édition prochaine de monographies.
Il s'agit d'un monstre dont on parle à la Commission consultative
des arts plastiques depuis des années. J'ai pris la décision
politique de le faire. Egalement ministre des lettres, j'ai prélevé
un subside de ce secteur afin de le consacrer à des monographies
de petite taille. Ce qui m'a permis de poursuivre concrètement
le mouvement et d'insérer dans le budget 2002 une ligne budgétaire
destinée à la parution une fois l'an de monographies
de réelle importance. C'est la commission qui choisira, qui
fera des propositions.
B.M. : Au sujet des monographies:
n'y avait-il pas moyen de dégager une ligne budgétaire
pour les catalogues des expositions à Venise et à
Tour & Taxis qui ont drainé énormément
de monde ?
R.M. : Pour Tour &
Taxis, je ne répondrai pas car c'était davantage du
ressort de mon collègue Rudy Demotte. Je ne connais pas le
dossier dans son ensemble. Par rapport à Venise, j'ai essayé
de réaliser un catalogue superbe avec le Fonds Mercator.
Les contacts ont été pris, mais pour différentes
raisons, cela n'a pu se faire. Cela se passait au mois de juillet,
où je connaissais quelques difficultés liées
au secteur audiovisuel. Je n'avais pas à ce moment là
le poids politique de pouvoir dire : je souhaite affecter quelques
millions à la réalisation du catalogue. C'est un très
bel exemple de ce que les "décisions politiques",
ne vont pas toujours de soi. Ce n'est pas le fait du prince. Ce
sont des choses difficiles à obtenir, ce sont des combats,
à la fois politiques et budgétaires dans un contexte
souvent difficile.
C.B. : Les colloques COBRAC
expriment le désir de faire se rencontrer des créateurs,
des intellectuels pour réfléchir à des questions
ponctuelles. Apparemment vous étiez peu satisfait de la première
édition "Le corps et son autre", organisée
au CIVA, le 30 novembre dernier. Vous annoncez aussi que "Le
fruit de cette recherche commune sera la matière de base
d'un ouvrage dynamique et décapant". Qu'en est t-il
au juste ?
R.M. : Il sera en effet
question d'une présentation vivante des recherches menées.
Par ailleurs, je ne suis pas totalement déçu du résultat
de ce premier colloque. Cependant, je considère qu'il s'agit
d'une première tentative, dont il faut en retirer les leçons.
A mon sens, la dimension internationale espérée n'a
pas été rencontrée. Une réunion d'évaluation
sera destinée à recibler le projet, avec le vu
d'une présence étrangère incontournable. A
travers ces colloques, je souhaite avant tout insister sur le créatif,
percevoir comment la création contemporaine se comporte avec
les expériences pratiquées en fonction des nouveaux
outils. Je voulais également insister sur Bruxelles. A mes
yeux, la capitale de la Communauté française, communauté
humaine, capitale de l'Europe doit avoir une place significative
dans la création contemporaine. J'ai rencontré récemment
Okwui Enwezor, directeur artistique de la prochaine Documenta de
Kassel, venu solliciter une aide à la production pour Chantal
Ackermann. La présence d'une de nos artistes à Kassel,
ne se limite pas simplement à une présence de prestige,
c'est également notre âme qui l'accompagne. J'estime
être une grande réussite pour un responsable politique
dans le secteur culturel et artistique, lorsque "l'homme du
commun", comme le dit Jean Dubuffet, comprend qu'il participe
à un événement, qu'il y éprouve même
une certaine fierté. Bref, uvrer à renverser
tous les a priori consistant à dire que l'argent dépensé
ne sert à rien. Parvenir à faire participer le grand
public à cette force de la création, à l'instar
des italiens qui se retrouvaient dans les opéras de Verdi.
C.B. : Vous citez Bruxelles.
A cet égard, il demeure aberrant qu'une capitale européenne
de transit ne bénéficie pas d'un centre d'art contemporain
multimédia.
R.M. : A cela je vous
réponds que c'est tout à fait nécessaire. Il
ne faut pas nier que la loi de financement de 1989 a des conséquences
désastreuses sur l'ensemble des secteurs. Cependant, il n'y
a pas que l'aspect budgétaire, il y va également d'une
décision propre à la volonté politique. Pour
exemple le nouveau complexe théâtral à Bruxelles.
Alors que le dossier stagnait depuis 1994, malgré les circonstances
difficiles et la répartition des matières entre portefeuilles
ministériels, en un an de temps, l'investissement de plus
d'un milliard de francs a été réalisé.
Ceci prouve qu'il est donc possible d'avancer : il y va d'une volonté
politique, comme d'une question de responsabilité publique.
B.M. : D'un point de vue
plus régional, quelle est votre position à propos
de la ville de Mons, comme capitale culturelle de la Wallonie ?
R.M. : Quel est l'enjeu
? La structure de notre pays est complexe. En Communauté
française, nous avons deux grands pôles, Bruxelles
et la Wallonie. L'on a souvent fait le reproche à la Communauté
de ne cibler que Bruxelles. C'est faux. Tous les chiffres le montrent
: les investissements sur la Wallonie par rapport à Bruxelles
sont énormes: ils vont de 3,5 à 1 pour l'enseignement
et de 5 à 1 pour la culture. Ainsi, l'on ne peut pas dire
que la Communauté soit "bruxellisée". C'est
même une des raisons pour lesquelles ce gouvernement a pris
la décision d'investir dans des bâtiments à
Bruxelles, d'y construire le nouveau Théâtre National
et d'acheter le Kladaradatsch. Il y a eu une absence d'investissements
culturels sur Bruxelles ces dernières années que nous
tenons à combler. Aspect important de cette question montoise,
l'on a estimé à un certain moment en Wallonie qu'il
devait y avoir des grands pôles. Liège a été
désignée capitale économique; Charleroi, capitale
sociale; Namur, capitale politique et administrative; Mons, capitale
culturelle. Des investissements importants ont été
réalisés dans ces villes, mais rien n'a été
fait sur Mons. Parce que la culture n'est pas une matière
régionale. L'on a donc fait l'erreur de ne pas donner les
moyens à Mons pour que cette ville devienne vraiment le pôle
culturel, et cela a été préjudiciable à
la Wallonie dans son ensemble. Le gouvernement de la Communauté
ainsi que le gouvernement wallon, ont enfin pris la décision
d'uvrer à la mise en place de ce pôle culturel
montois. L'on a décidé la décentralisation
du Théâtre National, le transfert des fameuses réserves
de la Communauté française, ainsi que la confirmation
de l'ouverture du MAC'S dont le principe avait été
acquis dès 1991 (j'insiste ici sur le fait que le Grand Hornu
est un bel outil, je m'engage à participer au maximum à
son financement ou à toute autre forme d'aide). Cela participe
non pas d'un rapport de force politicien dans le mauvais sens du
terme, mais bien d'un projet politique complet tant pour la Wallonie
que pour Bruxelles.
C.B. : Je voudrais à
présent considérer précisément le rôle
de la CCAP (Commission consultative des Arts plastiques), seule
interface entre le Ministère et le milieu artistique. La
loi de répartition politique selon la clef d'Hondt est une
chose, mais aujourd'hui, dans le souci d'une politique culturelle
plus efficace n'est-elle pas obsolète ? Ne faudrait-il pas
y préférer des acteurs effectifs de terrain et réduire
le nombre de membres
ils sont treize, les statuts en prévoient
sept .
R.M. : A mes yeux,
il s'agit là d'une question essentielle. La clef d'Hondt
est une obligation, c'est la loi du pacte culturel. A-t-elle encore
un sens ? L'on touche précisément à un des
fondements de notre système, qui a eu des implications dans
la politique culturelle menée. Je présenterai en janvier
prochain, le nouveau décret Arts de la scène. J'y
réduirai le nombre de représentants. La clef d'Hondt
ne jouera que sur une moitié, en arguant qu'il y a d'une
part des représentants publics, d'autre part des experts,
des créateurs. Cela étant, les personnes désignées
par les partis politiques ne sont pas forcément à
négliger. Il y a une telle charge de compromis et d'équilibre
à respecter, que le reproche que l'on puisse émettre
aux commissions est celui de ne pas oser aller assez loin. De deux
choses l'une, soit il faut poser la question de fond de la présence
à la clef d'Hondt, ce qui implique qu'on ne peut le faire
que via une déclaration de politique gouvernementale, soit
espérer qu'une nouvelle dynamique s'installe avec une revalorisation
de la fonction publique, de l'administration, des commissions et
leur demander de ne plus simplement s'occuper de points de détails,
mais de participer efficacement à un projet artistique.
C.B. : Au sujet de Braine-l'Alleud,
l'année 2002 va-t-elle enfin prendre des mesures quant à
la gestion, la restauration, la monstration de cette "fameuse"
collection ?
R.M. : Nous avons dégagé
des moyens pour remédier à la situation. Actuellement,
la réfection de l'Ecole normale de Mons, en vue d'accueillir
les collections, est estimée à 50 millions. Un projet
d'exposition est aussi d'actualité. Les cabinets y travaillent.
Néanmoins, l'administration a uvré dans la mesure
de ses possibilités, avec des dossiers moins satisfaisants
que d'autres, incluons-y un peu de malchance et des incidents
C'est maintenant au politique de susciter une nouvelle dynamique.
B.M. : Quelle réaction
vous inspire le transfert à Paris des archives de Christian
Dotremont, donc du groupe Cobra dont on sait qu'il vous intéresse
personnellement ?
R.M. : D'abord un constat
: je pointe ici des vides juridiques incroyables. La loi qui nous
aurait permis de gérer la question doit dater de 1951. Celle-ci
n'a jamais été réadaptée à la
nouvelle structure de l'Etat belge. Et donc la Communauté
française ne disposait d'aucun outil légal pour protéger
son patrimoine. C'est incroyable. On a essayé en catastrophe
de prendre un décret, mais il était trop tard. Il
n'est pas possible d'agir rétrospectivement. C'est un grand
mécontentement et un grand regret. Deuxième mécontentement
: l'attitude scandaleuse et inacceptable du frère de Dotremont
qui a laissé partir les papiers à Paris, alors que
l'artiste était habité par un anti-parisianisme notoire
et qu'il était clairement attaché à l'âme
belge. Il a tout fait pour que les petits pays européens
puissent travailler ensemble, face à leurs puissants voisins.
J'étais
moi-même prêt à financer immédiatement
la publication des écrits de Dotremont. Un travail réalisé
par Michel Sicard, publié au Mercure de France, sous la responsabilité
du poète Yves Bonnefoy ! Son frère a refusé
! Je suis dès lors très heureux du projet de décret
sur lequel travaille Rudy Demotte pour combler ce vide juridique.
C.B. : Le statut de l'artiste
?
R.M. : Dossier solide
et
dans les placards depuis des années ! Il s'agit
d'une matière extrêmement complexe, vu la diversité
des activités qui la concerne. Entre un acteur, un musicien,
un peintre, un sculpteur, un écrivain, il est impossible
d'avoir un statut unique. L'activité artistique possède
ses spécificités, alors que notre système social
est constitué sur base de grands profils. De même,
à l'échelle européenne, il n'existe pas d'harmonisation
du statut social de l'artiste. Il serait envisageable d'utiliser
le problème du statut de l'artiste comme premier pas vers
une harmonisation du statut social des européens, avec, en
biais, le problème d'harmonisation fiscale, ce qui signifie
un premier pas vers la citoyenneté européenne, l'artiste
étant par définition quelqu'un qui traverse les frontières.
Tout est toujours question de volonté politique. Le dossier
est sur la table du gouvernement fédéral. Le gouvernement
Verhofstadt est le premier à avoir dans sa déclaration
une ligne qui concerne le statut social de l'artiste. Il est dit
qu'il y apportera une solution. En ce sens, Monsieur Bert Anciaux
et moi-même avons négocié une plate-forme d'entente
en stipulant que les problèmes rencontrés par les
deux communautés sont de même nature. Nous souhaitons
que le pouvoir fédéral prennent en compte nos souhaits
dans ce domaine. Par ailleurs, j'ai vu avec satisfaction que Monsieur
Franck Vandenbroecke avait un projet en préparation. Notons
enfin que l'absence des socio-chrétiens est un élément
favorable dans la prise de décision, car le problème
des mutualités socialistes et chrétiennes ne se pose
plus.
ENTRETIEN RÉALISÉ
EN DÉCEMBRE 2001
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