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DOCUMENTA
11 |
CÉCILIA
BEZZAN |
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DOCUMENTA 11 EST FONCIÈREMENT POLITIQUE. PEUT-ÊTRE
TROP. PLUS DE LA MOITIÉ DES UVRES PRÉSENTÉES
RELÈVENT D'UNE DIMENSION SOCIOPOLITIQUE, TRAITENT DU QUOTIDIEN
À TRAVERS LES GRANDS DRAMES D'AUJOURD'HUI OU LES ENVISAGENT
PAR LA FICTION SOCIALE, RACONTÉE OU NON PAR DES OBJETS, TRÈS
SOUVENT PAR L'IMAGE EN MOUVEMENT. CHANTAL AKERMAN, JOËLLE TUERLINCKX,
PASCALE MARTHINE TAYOU SONT LES REPRÉSENTANTS DE LA COMMUNAUTÉ
FRANÇAISE DE BELGIQUE À DOCUMENTA 11
FOCUS
"
SI TU VEUX AVANCER DANS L'ÉTUDE DE LA SAGESSE, NE REFUSE
POINT,
SUR LES CHOSES EXTRÊMES, DE PASSER POUR IDIOT ET POUR INSENSÉ
", EPICTÈTE
" L'IDÉE DE FRONTIÈRES ET DE NATIONS ME PARAÎT
ABSURDE.
LA SEULE CHOSE QUI PEUT NOUS SAUVER EST D'ÊTRE DES CITOYENS
DU MONDE ", JORGE LUIS BORGES
" LE MONDE EST MA MAISON ", AIMÉ NTAKIYICA
La participation
de Chantal Akerman,
Joëlle Tuerlinckx
et Pascale Marthine Tayou
est financièrement soutenue
par le Commissariat Général
aux Relations Internationales
de la Communauté française
(CGRI).
Edition d'un catalogue.
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En général
Documenta 11, par la résonance des con-textes d'élaborations
des pièces présentées, pose les jalons d'un
art contemporain critique et discursif sur le monde et ses dysfonctionnements,
ses utopies lacérées, ses uchronies potentielles.
Au cur de l'actualité, Documenta 11 s'énonce
par la critique et propose des témoignages politiques sur
notre façon d'être au monde, dominants et dominés,
notre présent et devenir historique, idéologique.
Okwui Enwezor entouré de ses co-commissaires, Carlos Basualdo,
Susanne Ghez, Sarat Naharaj, Ute Meta Bauer, Octavio Zaya et Mark
Nash, a posé la pierre d'un édifice structuré
en plates-formes foncièrement réflexives. Résultat
imagé des réflexions élaborées lors
des quatre plates-formes préalables à sa conception
(voir en marge), Documenta 11 aime à se définir par
quelques termes, comme "inachèvement", "potentiel",
"structures parallèles", où présent
et réalité se régulent de manière spécifique.
A ne pas confondre avec la notion de "work in progress",
ces termes définissent des attitudes qui plaident en faveur
de l'élaboration de supports propres à dépasser
le constat produit par l'image pour pointer des contextes d'élaboration
et les interroger. Déclinée pour la première
fois en cinq lieux (Museum Fridericianum, Documenta-Halle, Orangerie
Karlsaue, Kulturbanhof et Binding Brauerei), la Documenta se fait
diffuse et insuffle sa parole témoin.
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Chantal
Akerman
From the Other Side, 2002
Photogramme / Installation pour 18 moniteurs et 2 écrans
Super 16 et vidéo transféré sur DVD
Production Carto Pacific, Paris et Chemah I.S.
© Ch. Akerman
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Dans quelles mesures, aujourd'hui, les choix réflexifs
d'un curateur sont-ils à l'origine du pronostic des valeurs
traitées par l'art? Plus de la moitié des uvres
correspondent aux questions soulevées par Okwui Enwezor,
relatives à la guerre, la violence, la famine, la pauvreté
dans le monde et les conditions de vie inhumaines que ces fléaux
infligent, que l'on soit né ici ou ailleurs. Les axes d'interrogations
concernent, en outre, les conséquences macropolitiques en
des territoires micropolitiques, les démocraties et leurs
utopies, les modèles socioéconomiques héritiers
de l'après guerre.
Lorsque, sous le poids de ces narrations fictives
ou témoignages imagés, il devient à ce point
éloquent de relire les travaux d'un On Kawara ou d'un Stanley
Brouwn, c'est que le message est bien influent. Révélatrices
des contradictions sociétales pour permettre de nouvelles
mises au point, les uvres de Documenta 11 entendent se positionner
au monde sans l'utopie de la ligne droite, mais par l'expérience
des méandres, d'un hic & nunc vibrant de réalité.
Une manière d'opérer à travers champs, de traiter
du sociopolitique et de l'idéologie par le témoignage
ou la fiction sociale, alors que le trope du banal s'énonce
par la mise sous tension des réels.
Il n'est cependant pas question de commettre une généralité
abusive dans l'appréhension des uvres présentées
à Documenta 11. Ainsi, Cerith Wyn Evans, Pierre Huyghe, Gabriel
Orozco, entre autres, Joëlle Tuerlinckx, certainement, procurent
un souffle revitalisant. Ici, par la plasticité, l'esprit
vogue (ou s'échappe), interroge le monde qui l'entoure, non
par l'image de l'arme, ou d'une humanité dévoyée,
abâtardie, mais par la création d'instances intemporelles
propres à formuler de l'imaginaire, à nous faire convoiter
un ailleurs, même si celui-ci est sous nos yeux. Aujourd'hui,
l'esprit malmené par les médias, gavé d'images
terroristes, se fait-il plus réflexif lorsque l'on continue
de lui asséner le même profil, ou bien est-il mieux
à même de dépasser pertinemment le triste constat
par la suggestion d'une réflexion sereine, par la création
imagée? " La pitié dégrade autant celui
qui s'apitoie que celui qui est pitoyable ", Bernard Shaw.
" Nous voulons établir un diagnostic
plutôt qu'un pronostic ", dit Enwezor
c'est que
le monde est bien malade, mais Breton n'avertissait-il pas que "
Toute épave à partir de nos mains doit être
considérée comme un précipité de nos
désirs? ".
En particulier
Les pièces présentées au Fridericianum sont
à l'image de l'institution muséale, prégnantes
d'une forme conventionnelle, bien moins séduisantes que les
travaux présentés dans les autres lieux. Cependant,
sans vouloir verser dans l'esprit de clocher, l'installation de
Joëlle Tuerlinckx est sans aucun doute une des pièces
les plus réussies de l'endroit: une installation de moniteurs
et d'écrans, de projecteurs dias, ainsi que de quelques objets,
qui agissent sur le motif du rectangle, de la ligne, du pointillé.
On "retrouve" également la phrase trouvée,
usitée dans la démarche de l'artiste. Exemple : You
only have to choose a moment - Found sentence in a Pocket, by Orla
Barry, 1995. Anything, Anywhere, Fast est cette structure de l'espace
élastique, tel que le conçoit Tuerlinckx.
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Joëlle
Tuerlinckx
AQUI HAVIA HISTORIA-CULTURA AGORA O
Une proposition pour Documenta 11, 2002
Dia extraite de l'installation multimédia :
une pièce de 15min. 7sec., en 22 étapes,
autour d'une inscription trouvée
© J. Tuerlinckx
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Une ligne inscrite au sol dans le contexte d'un
musée enjoint la délimitation de l'espace à
ne pas "franchir", dimension sacrée, s'il en est.
Ici, la ligne est interrompue, elle devient segment essentiel, unité
de mesure qui donne à l'installation une autre dimension.
L'espace entier est inclus dans la pièce et résonne
selon une poétique de la mesure. L'appréhension de
cet élément par les visiteurs fut fort amusante à
constater: entre l'attitude des plus téméraires, ou
curieux, à le franchir; des plus interloqués à
voir que certains se risquaient à le franchir, et celles
des endoloris, résolument décidés à
ne pas le franchir. Car il s'agit de s'inclure dans l'installation.
Cette ligne, par la modestie qu'elle dégage, est aussi une
leçon quant au bien fondé de la notion d' "uvre
d'art". Elle ne délimite pas, elle leurre. Les vidéos
montrent la succession de gestes simples, qui, au marqueur, forment
une ligne, qui, au scotch, construisent une surface. Le motif se
révèle par un jeu de renvoi formel, à petite,
moyenne et grande échelle. Du déroulé à
l'enroulé, selon le sens que l'on veut donner, le motif devient
l'arithmétique essentielle. Une manière de questionner
la frontière, la différence abstraite, dévolue
en nos territoires, renforcées en nos médias, dénoncées
en nos présents. Et puis, il y a cette lumière de
l'écran, quand le relais au premier moniteur s'arrête,
elle est diffuse, entière, donne à vibrer l'espace,
peu avant que la lumière des néons de la salle s'amenuise:
on sent la fin ou le début de quelque chose - selon les tempéraments
positif ou négatif.
L'unité du monde est telle que l'on conçoit
la chose. Tuerlinckx, dans le minimalisme de la litote emploie les
différents concepts d'inachèvement, de structures
parallèles, de potentiel, processus auquel s'adjoint avec
force l'instant suspendu du "less is more".
Akerman n'hésite pas à dire son engouement pour la
pratique de l'installation. Elle renoue, comme en ses premiers films,
avec la nature jubilatoire de l'expérimentation. Ca se sent.
18 moniteurs et 2 écrans s'intitulent From the Other Side,
une rafle d'immigrés clandestins refoulés à
la frontière mexicaine. Quelques images glanées au
service de l'immigration sont employées comme archives dans
le "scénario" - difficile d'appeler cela autrement.
Même si le statut d'archives déplaît à
l'auteur, il est du témoignage comme du reportage édulcoré
par le contraste de couleurs pimpantes, entre rose et vert pomme.
C'est qu' Akerman traite plus de la détresse humaine, de
la turbulence sociale dans Hall de nuit (L'Arche, 1992), Une famille
à Bruxelles (L'Arche, 1998), ou D'Est (1995). La cinéaste
nous avait habitués à plus de maîtrise dans
la formulation, peut-être mieux travaillée. Ici, la
grandiloquence produite par les moniteurs, l'image démultipliée,
sont du plus bel effet, mais le moyen ne pervertirait-il pas la
fin?
Pas de surprise éloquente avec Pascale Marthine
Tayou, dont le meilleur est à voir en ce moment au Palais
de Tokyo
là est ce monticule de papiers lacérés,
opprobre au monde et à sa ténacité consumériste,
là se dressent les figures totémiques très
savamment conçues en leur parodie du réel, là
se trouve une vraie cabane labyrinthique, où la mise en scène
relationnelle est de taille, car le clayonnage fait place à
la surface blanche accueillant moult commentaires du passant. Une
façon d'activer consciemment la palabre comme lieu d'entente
et de réunion. Tandis qu'ici, en la Documenta-Halle, la cabane
est ce lieu du vrombissement de Yaoundé, en un échafaud
de moniteurs vociférant par les dizaines d'écouteurs
esthétiquement mêlés au-dessus de nos têtes,
tandis que le sentier éclairé du rouge, jaune, vert
camerounais nous menait à la maison du témoignage
éculé.
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Plate-forme 1
Vienne, Autriche
Berlin, Allemagne
"Democracy Unrealized"
Mars-Avril, Octobre 2001
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Plate-forme 2
New Delhi, Inde
" Experiments with Truth:
Transitional Justice
and the Processes
of Truth and
Reconciliation"
Mai 2001<
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Plate-forme 3
Sainte Lucie, Caraïbes
"Creolite
et Creolization"
Janvier 2002
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Plate-forme 4
Lagos, Nigéria
"Under Siege :
4 africans cities :
freetown,
Johanessburg,
Kinsacha,
Lagos"
Mars 2002
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Plate-forme 5
Kassel, Allemagne
Documenta 11
8 juin - 15 septembre 2002
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