Ministère de la Communauté française de Belgique 


l'art même
# 16
 
 
ILES FLOTTANTES POUR PLAT PAYS
LAURE EGGERICX
 

A L'OCCASION DE LA BIENNALE DE VENISE 1, LE "PAYS LE PLUS LAID DU MONDE" COMME LE DÉCLARAIT DANS LES ANNÉES SOIXANTE L'ARCHITECTE RENAAT BRAEM 2, SE PRÉSENTE SOUS LA FORME DE SEPT ÎLOTS ÉMERGEANT D'UN OCÉAN DE "CLÉ SUR PORTE".

 

Une image au propre comme au figuré qui rend compte de l'état contrasté de l'art de bâtir dans cette contrée dont les habitants sont connus pour avoir cette rage de bâtir congénitale et pour naître avec "une brique dans le ventre". Fervent défenseur de l'habitation individuelle, de sa construction et de sa possession, le Belge la considère comme une forme d'aboutissement social. "Ma maison, ma liberté…" avec ce côté profondément individualiste à tout prix d'une part et de l'autre, une architecture publique au-dessus de la mêlée. C'est ce décalage, cette scission entre l'approche de la grande majorité de la population sur l'idée et la valeur de l'habitat individuel et l'ambition de certains pouvoirs publics de produire une architecture de qualité, qui constitue l'objet ultime de ce pavillon en forme d'interpellation et de questionnement. Cette question universelle - ou à tout le moins susceptible de trouver des échos dans d'autres pays - est traitée en terme d'humour et d'image forte par le biais d'une scénographie simple mais percutante.

 

Passerelle sur l'avenue de Tervueren (Bruxelles)
Arch.: Pierre Blondel et Jean-Marc Simon
Ing.: Laurent Ney
Photo : B. Boccara

 

Les murs intérieurs sont tout entier recouverts de papier peint reproduisant les images de maisons "clé sur porte" comme un immense catalogue répétitif. Çà et là, une dizaine de petits tableaux encadrent des extraits d'interviews d'habitants de lotissement avec leurs portraits. Le sol est fait de textes reprenant des informations statistiques sur les usages et les pratiques des habitants en Communauté française en matière de mobilité, de densité, de propriété ou de voisinage. Au milieu de cet environnement sans relief, de ce triste constat, sept îles flottent, libres, légères, "autres"… Sept maquettes de projets (et/ou réalisations) publics issus de différentes démarches flottent littéralement dans l'espace du pavillon, sans aucune connexion ni avec son architecture ni avec le contexte habillé des murs. Selon ses caractéristiques (espace public, ouvrage d'art, bâtiment public…) chacun des maillons de cette histoire est placé sur un socle qui correspond à sa taille. La maquette, médium de communication par excellence, est accompagnée d'une image en contexte de chaque réalisation.

L'ambassadeur de ce projet flash à l'ère du spot, du clip, du zapping et du téléachat où même les maisons se vendent sur catalogue, est l'architecte Maurizio Cohen dont les sept "péchés mignons" se répartissent aux quatre coins de la Communauté française Wallonie-Bruxelles. Des péchés ou plutôt des exceptions au nombre de sept - pouvoirs occultes, timing et enveloppe budgétaire obligent - qui sont autant d'exemples récents et significatifs dans le domaine public qui mettent l'accent sur l'interaction entre les maîtres de l'ouvrage et les architectes.

 

SPI+
Service promotion et initiatives de la Province de Liège
Arch.: Atelier Daniel Dethier (Liège)
Photo : J.Legros

 

Cet archipel d'expériences publiques mêle les tailles, les affectations, les bureaux d'architecture et les projets plus ou moins connus. S'y retrouvent : le MAC's au Grand Hornu (atelier Pierre Hebbelinck, Liège), le nouveau Théâtre National à Bruxelles (Architectes Associés Marc Lacour, L'Escaut et P. Van Assche, Bruxelles), le siège de l'ACCF à Bruxelles (concours remporté par V+ avec Cooparch, Bruxelles), la passerelle sur l'avenue de Tervueren (Pierre Blondel, Laurent Ney et Jean-Marc Simon, Bruxelles), le Service promotion et initiatives de la Province de Liège (atelier Daniel Dethier, Liège), un immeuble de logements et commerce à Schaerbeek (atelier Mario Garzaniti, Liège) et la place d'Armes à Namur (atelier 4D, Namur). Autant de bonnes raisons d'aller à Venise… pour mieux voir une Belgique que l'on dit frileuse…

 

1. 8e exposition internationale d'architecture
organisée par la Biennale di Venezia, Giardini di Castello / Arsenale / Venezia,
du 8/9 au 3/11/2002.
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2. Renaat Braem,
Het lelijkste land ter wereld,
Louvain, 1968, p. 5.
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