Ministère de la Communauté française de Belgique 


l'art même
# 17
 
 
La collection… une manière publique et privée
de gérer le patrimoine artistique
CÉCILIA BEZZAN

ALORS QUE LE NOUVEAU NÉ, LE MAC'S - ET SON DIRECTEUR, LAURENT BUSINE -, ENVISAGE LA FUTURE COLLECTION DU MUSÉE DES ARTS CONTEMPORAINS DE LA COMMUNAUTÉ FRANÇAISE DE BELGIQUE COMME "MANIÈRE POÉTIQUE D'INVENTORIER LE MONDE", LE PRINCIPE D'ÉLABORATION D'UNE COLLECTION, TOUS AZIMUTS DÉCISIONNELS CONFONDUS, DEMEURE EN SOIT UNE PROBLÉMATIQUE COMPLEXE. DU CÔTÉ DE LA GESTION PUBLIQUE INSTITUTIONNALISÉE, L'ACCRÉDITATION SOLENNELLE DU PRÉSENT NOURRIT L'HISTOIRE, TANDIS QUE, DU CÔTÉ PRIVÉ, OUTRE LA PLUS-VALUE MERCANTILE GÉNÉRALEMENT ACCORDÉE À L'OBJET D'ART DANS LE CONTEXTE DU MARKETING DE L'IMAGE, LE REFLET NARCISSIQUE DÉGAGÉ PAR L'ACQUISITION RASSURE LE PROPRIÉTAIRE SUR SON AVOIR.

 
HANS HAACKE / VIEWING MATTERS : UPSTAIRS, DÉTAIL, 1996 /
MUSÉE BOIJMANS VAN BEUNINGEN, ROTTERDAM.

CARTOGRAPHIE ÉLÉMENTAIRE

La collection est avant tout le résultat de l'acte de collecte. Elle est outil de mémoire qui alimente l'utopie lacérée de la résistance au temps, lui-même se donnant aujourd'hui dans l'exponentielle consumériste. Elle est aussi l'ensemble de témoignages d'individus sensibles à leur société. En d'autres termes, il s'agit d'acquérir pour donner à voir et, lorsque l'artiste est toujours en vie, lui apporter une aide à la création. L'acquisition s'opère selon différents paramètres: la création issue d'un territoire et sa mise en relation outre frontière, la qualité de l'œuvre produite - définie selon les critères du temps -, le pouvoir décisionnel émanant d'une commission d'achat. Aussi, lors des Métamorphoses - un projet pluridisciplinaire réalisé à l'occasion de Bruxelles/Brussel 2000, Ville européenne de la Culture -, lorsque la section des arts plastiques1 convoque le double principe "collection - collecte", l'occasion a été donnée de comparer les différentes vitesses de travail entre secteurs privé, public et institutionnel2. Le projet, dans son intitulé, Dérives et dispositifs autour de l'image - Le fait plastique, sa gestion et ses déclinaisons dans la Ville de Bruxelles, renvoyait de manière plurielle à l'idée de collection, d'une part, et à sa mise en œuvre initiale, d'autre part. Les perspectives dégagées ont eu pour effet la rencontre de différents protagonistes issus de ces secteurs lors de rencontres informelles dont, pour le secteur privé, la table ronde du 2 octobre 2000 à l'auditorium de Belgacom, avec, comme participants: La Fondation Belgacom, le Service des Arts de la BBL, Artesia Arts, et Archétype.
On ne peut cependant qu'être insatisfait du manque de relais donné à cette mise en œuvre sur le territoire de la Communauté française. En effet, cette cartographie élémentaire d'acteurs décisionnels, tous secteurs confondus, offrait potentiellement, dans la concertation des domaines spécifiques, la redéfinition de fonctions effectives, aptes à outiller l'institution dans l'élaboration de sa politique de collecte, et dans son enjeu de visibilité sur la scène internationale.

MARIE-JO LAFONTAINE / WIR HABEN DIE KUNST DAMIT
WIR NICHT AN DER WAHRHEIT ZUGRUNDE GEHEN, 1991 /
INSTALLATION À LA GLYPTOTHÈQUE, MUNICH.

INITIATIVES ET RECHERCHES DANS LA GESTION DE LA COLLECTION PUBLIQUE

Aujourd'hui la notion de collection s'interroge notamment via le lieu même de son exposition: le Musée. Pour exemple, notons l'ouvrage de James Putnam, Le Musée à l'œuvre - Le Musée comme médium dans l'Art contemporain3, ou encore l'ouvrage publié par l'ULB, en 1999, résultat du colloque international organisé par le Centre d'Etudes canadiennes de l'ULB, Les musées en mouvement - Nouvelles conceptions, nouveaux publics (Belgique - Canada).
Si certaines infrastructures muséales (par exemple le Musée Boijmans van Beuningen - Rotterdam) font action d'audace pour rencontrer la nécessité du discours artistique contemporain - et dans l'ordre logique de la relation, pour exister dans la réception aux publics -, il est navrant de constater, à l'échelon institutionnel de notre pays, combien l'on demeure en deçà des attentes des artistes issus du territoire, comme du public. Aussi dans la problématique, qui dépasse de loin le territoire de notre Communauté, pointons le numéro 17 de la revue bimestrielle française Mouvements: Les valeurs de l'art - entre marché et institutions4, qui permet de mettre en abîme la question de la collection, via les lieux de monstrations et ses problématiques connexes: qu'il s'agisse du phénomène de la friche comme outil potentiel du XXIe siècle apte à gérer l'hybride alliance privée - publique, depuis la nécessité d'exposition, d'aide à la création et le phénomène de l'industrie culturelle en développement constant.
En d'autres termes, questionner la collection revient (in)directement à questionner le Musée. Comme le souligne James Putnam, les interventions d'artistes se multiplient dans le lieu même du Musée. Celles-ci sont souvent d'obédience politique et critique car elles agissent au cœur de la structure traditionnelle. L'artiste intervient directement sur le contexte de muséification, avec la volonté d'agir et donc de s'inscrire directement dans l'enclos ceint par les murs de l'histoire. Plusieurs exemples de pratique d'intervention contemporaine éclairent le lieu symbolique: le dialogue entre art ancien, moderne et contemporain s'entame. A titre d'intervention, citons l'intégration de Marie-Jo Lafontaine dans la coupole de la Glyptothèque de Munich, 1991. Parfois, le plasticien, appelé à orchestrer les collections - Joseph Kosuth, The play of the unmentionable, 1990, Brooklyn Museum -, en devient le metteur en scène. S'appuyant sur sa démarche par l'articulation de sa grammaire formelle, le plasticien joue avec les méthodes muséologiques. Dès lors, le Musée opte pour une sorte de lifting "coup de folie" et se met à l'écoute des problématiques contemporaines, tant dans l'exercice de l'exposition, que dans le rôle critique qu'elle opère. Ici, le plasticien devient acteur et protagoniste de l'enjeu de monstration.
Aussi, dans l'enjeu de cette mise en œuvre contextuelle, l'intervention du plasticien pose t-elle question. L'institution muséale a tout intérêt à amener l'artiste, toujours en recherche de reconnaissance narcissique, à réfléchir et à proposer des solutions permettant l'actualisation de ses réserves. Elle entretient un rapport de dépendance tout en sublimant le soutien à la création. De ce constat découle une remarque: l'institution est-elle à ce point en manque de capacité créative pour qu'elle ne puisse elle-même réfléchir de manière prospective sur la genèse de ses propres acquis ?
Sans faire de généralisation abusive, on constatera que le concept de manœuvre, théorisé par les Québécois Alain-Martin Richard et Richard Martel (voir "l'art même" #8, p.12), est de plus en plus en vogue. Pour rappel, la manœuvre consiste à proposer un dispositif d'exposition où des œuvres, de chronologie et de genre différents, sont présentées selon des axes définis par le "metteur en scène". Les exemples fournis aujourd'hui sont de plus en plus nombreux: l'accrochage à la Tate Modern Gallery, le "nouvel" accrochage de Beaubourg, l'exposition Voici de Thierry de Duve, la première exposition de Pierre Olivier Rollin dans le cadre de la présentation des nouvelles acquisitions de la Province de Hainaut, Musée en œuvre(s), ainsi que Parade, présentation de 100 ans d'art en France dans les collections du centre Pompidou, à Sao Paulo, sous le commissariat de Laurent Le Bon.

 

JOSEPH KOSUTH / THE PLAY OF THE UNMENTIONABLE, 1990 /
INSTALLATION AU BROOKLYN MUSEUM, NEW YORK.


 

La manœuvre fait se côtoyer des œuvres, selon la grille de lecture établie en correspondance avec les propos critique et formel d'un artiste, d'un théoricien, d'un critique, ou d'une équipe curatoriale, qui revisitent les productions passées ou récentes pour en proposer un amalgame. Le dispositif d'exposition renouvelle et démultiplie les lectures, crée des lieux de connivence, jusqu'alors peu ou prou mis en évidence. Les œuvres ont valeur d'appel les unes par rapport aux autres dans l'optique du mixage.

 

DAMIEN HIRST / DEAD ENDS DIED OUT, EXPLORED, 1993



 

Ces manières de travailler la collection ont en commun l'action de retisser l'Histoire, de pointer ce qui apparaît contemporain: casser la linéarité de l'histoire, ou son côté cyclique, pour rendre visible les lieux de connivence sous le biais de "familles d'esprit". Ce qui est amusant, c'est que l'on en vient presque à renouer avec l'idée de "cabinet de curiosité" pourtant ancrée dans la pratique de travail très XIXe.
Si certains plaident pour le constat affligeant d'une situation proche du marasme dans la gestion de la collection, la réalité n'est cependant pas si noire. En effet, les glissements de sens appellent à la création de nouveaux outils de gestion dans le phénomène dit de la "collecte", ce qui aura pour effet à moyen terme, une redéfinition des nécessités à satisfaire, des objectifs à atteindre et des échecs à assumer, avec entre autre postulat, la notion émergente de patrimoine artistique.

 
 
1. Sous le commissariat de Laurent Jacob.
Projet coordonné dans son ensemble par Fabienne Verstraeten.

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2. Le secteur privé: BBL, Artesia Banking Corporation, Fondation Belgacom asbl, Hôtel Siru; les secteurs public et
institutionnel: Musées royaux des Beaux-Arts, Ateliers de moulage - Cinquantenanire, Bibliothèque Royale Albert II, Musée des instruments de musique, IRPA, Archives de la Ville de Bruxelles, Parlement Bruxellois.

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3. Thames & Hudson, traduction française, Paris, 2002.

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4. Paris, septembre - octobre, 2001 (dir. Gilbert Wasserman).

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