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BEAT STREULI / NEW YORK, 2001 / PHOTOGRAPHIE
COULEUR 2/3 /
COLLECTION DE LA PROVINCE DE HAINAUT /
© PHOTO D.G.A.C.H. R. SAUBLAINS
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La collection d'art contemporain des Musées royaux des Beaux-Arts
de Bruxelles (oui, cela existe, au huitième sous-sol
)
n'a bien entendu aucun rapport avec les collections du SMAK à
Gand ou du MUHKA à Anvers, même si certains artistes
sont représentés dans les trois collections. Dans
un tout autre registre, le PMMK à Ostende défend et
se tient à une significative politique d'acquisition d'artistes
belges, alors que la collection de la Province de Hainaut n'hésite
pas à internationaliser ses choix. En l'absence (et en attente)
de locaux permanents pour abriter sa collection, elle se trouve
un peu dans la même situation que les abondantes et généralistes
collections de nos deux ministères de la culture, en Communautés
française et flamande. Hypermédiatisée, l'ouverture
du MAC's au Grand-Hornu portait plus sur la qualité du bâtiment
et la valeur de la manifestation inaugurale, la collection étant
absente du débat, sans doute en partie parce qu'elle se confond
pour moitié avec cette première exposition de "l'Herbier
et le Nuage".
L'amorce et la constitution d'une collection d'art contemporain
ne sont pas chose évidente. A l'exception du MAC's, toutes
ces collections institutionnelles ont un passé à gérer.
Historiques et généralistes pour les MRBA (Musées
royaux des Beaux-Arts, Bruxelles) et celles des deux communautés,
elles ne sont pas trop sujet à questionnement (quoique) et
fonctionnent comme une machine (relativement) bien huilée,
sporadiquement grippée par des ajustement ou des rétrécissements
budgétaires1. Les uvres
qui y entrent ne sont bien entendu pas le fruit du hasard, mais
subissent alors une éclipse souvent durable en terme de visibilité
et d'accessibilité2.
Ce n'est pas le cas des collections des Musées royaux, mais
les uvres actuelles y sont présentées d'une
façon telle qu'elles semblent être les éléments
figés d'une histoire de l'art dont la chronologie et l'internationalisme
font office de fil conducteur. De second choix, parfois, pour les
pièces étrangères, qualitativement représentative,
par contre, des artistes belges de renom (ceux qui ont accédé
à une notoriété outre frontières)3,
cette partie de la collection est manifestement à l'étroit
dans des salles non prévues pour accueillir des nouvelles
formes d'art. Celles-ci sont alors ravalées au niveau de
l'objet, au sens où l'on pouvait l'entendre à l'époque
des Nouveaux Réalistes ou du Pop Art, quand il s'agissait
de faire entrer les traces du quotidien au musée. Tout ce
qui touche aux notions de spatialité, d'installation, d'environnement
ne peut être considéré à sa juste valeur.
Si l'endroit vaut cependant la visite, on s'étonnera une
fois de plus que la photographie, même celle qualifiée
de plasticienne, n'y ait étrangement pas encore droit de
cité.
Cet exemple pour montrer à quel point l'architecture du bâtiment
peut elle être contraignante dans son rapport aux uvres
qu'elle abrite. La transformation radicale de l'uvre d'art
telle qu'elle s'est développée dans les trente dernières
années - outre la fonction critque opérée sur
le concept même du musée - a généré
les questions de sa présentation, de sa conservation, mais
aussi de sa production ou de sa réinstallation. Une collection,
sous peine de réification, devient de plus en plus un corps
en mouvement dont les repères d'hier ne sont plus ceux d'aujourd'hui
et encore moins ceux de demain. A ces besoins que doit offrir le
musée en retour? Probablement la même capacité
d'adaptation, ce qui rend caduques les architectures trop rigides
et pas assez modulables
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MASSIMO VITALI / ROSIGNANO - SOLVAY SEA 1,
08/1998 /
PHOTOGRAPHIE COULEUR 5/9 (SÉRIE BEACH & DISCO)
/ COLLECTION DE LA PROVINCE DE HAINAUT / © PHOTO D.G.A.C.H.
RAYMOND SAUBLAINS
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Disposer d'une collection d'art contemporain ne signifie pas pour
autant pouvoir être considéré comme un musée
d'art contemporain. La collection des MRBA a le défaut de
sa principale qualité qui est celle du recul porté
sur l'art de ces trente dernières années. Les grands
courants ou les dernières avant-gardes se sont consolidés
et il est plus facile de déterminer quels en sont les artistes
majeurs. Mais comme malheureusement leur notoriété
s'est accrue en relation avec leur valeur marchande, les meilleures
uvres sont devenues financièrement inaccessibles et
cela se ressent en parcourant la collection.
Le véritable défi pour une collection muséale
d'art contemporain est d'acheter maintenant ce qui sera encore représentatif
demain de la production actuelle sans pour autant être une
réalisation par trop marquée par son temps et les
tendances du moment. Comme le dit fort justement Flor Bex: "le
risque d'erreur demeure, parce que dans l'ensemble on ne saurait
manier des normes définitives. Le choix des artistes et des
uvres se fait en se fondant sur la connaissance acquise et
des années d'expérience, en suivant pas à pas
la créativité plastique la plus récente, en
comparant entre elles les diverses créations artistiques,
en analysant l'uvre d'un artiste donné, mais le choix
se fait aussi à partir d'un goût personnel, d'intuition
et surtout par amour, enthousiasme et conviction".4
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FRANÇOIS CURLET / DJELLABA NIKE, 1998
/ SCULPTURE -
TISSU SYNTHÉTIQUE ET SÉRIGRAPHIE SUR BUSTE DE
COUTURIÈRE / COLLECTION
DE LA PROVINCE DE HAINAUT / © PHOTO D.G.A.C.H. RAYMOND
SAUBLAINS
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On retiendra des propos de Flor Bex l'extrême personnalisation
du statut de directeur de musée en Belgique. De la direction
de l'ICC depuis le début des années 1970 à
celle du MUHKA jusqu'en 2002, Flor Bex a conduit ces deux principales
institutions anversoises depuis leur fondation. Il en est de même
pour Jan Hoet toujours tout puissant à Gand depuis la création
du musée d'art contemporain en 1975 tandis que Willy Van
Den Bussche est à la tête du PMMK d'Ostende depuis
1967. Enfin, il est inutile de rappeler combien le MAC's et sa politique
culturelle sont identifiés à la personnalité
de Laurent Busine. Les musées apparaissent comme des entreprises
financées par les pouvoirs publics tout en bénéficiant
d'une identification très forte étroitement liée
à la personnalité de leur directeur. Cette situation
a notamment l'avantage de conforter la cohérence de la collection
à défaut d'en assurer le renouvellement. Dès
lors, il semble bien qu'une autre pratique de management de direction
- sous forme de mandats plus courts réellement renouvelés
après appel à candidature - ne soit pas à l'ordre
du jour.
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GUY MEES, BRUCE NAUMANN, MARLÈNE DUMAS
/
MUHKA, SALLES DES COLLECTIONS, VUE D'ACCROCHAGE,
OCTOBRE 2002
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À L'ORIGINE DES COLLECTIONS
De la conception et de la vocation généraliste des
Musées royaux des Beaux-Arts, divergent, en les complètant,
les collections plus spécifiques de Gand, Anvers, Ostende,
la Province de Hainaut, le Grand Hornu.5
Hormis le MAC's, toutes les collections envisagées sont
bâties sur un fonds préexistant, antérieur à
l'édification des bâtiments. L'actuelle collection
du SMAK est conçue sur la base de certaines acquisitions
du temps où les collections anciennes et modernes n'étaient
pas encore séparées mais surtout sur l'ébauche
de collection contemporaine parfaitement élaborée
par la dynamique Association pour le Musée d'Art Contemporain
(VMHK). Celle du MUHKA est fondée, d'une part, sur l'héritage,
notamment vidéographique, de l'ancien Centre culturel international
(ICC) et, de l'autre, sur les uvres offertes à la fin
des années 70 par les artistes en hommage à Gordon
Matta-Clark, alors récemment décédé6.
Celle de la Province de Hainaut date de 1913 et s'est développée
autour du Prix annuel des Arts Plastiques, les acquisitions étant
effectuées par les mandataires publics. Les choses ont changé
en profondeur depuis 1985 et la mise en place d'une nouvelle politique
d'achat à la fois plus ouverte et mieux déterminée,
dans le respect de la spécificité régionale.
Riche de plus de 5.000 uvres, la collection est à présent
déterminée par quatre axes, certaines uvres
pouvant ressortir de plusieurs. Il s'agit de l'art et des artistes
en Hainaut, du surréalisme porté par diverses générations,
de "l'analyse critique du rôle de l'image dans ses rapports
entre l'art et le pouvoir" et, enfin, d'une ligne beaucoup
plus large englobant les "constats de société",
que ceux-ci traitent de multiculturalité, de loisirs ou de
médiatisation. Quant au Musée provincial d'art moderne
d'Ostende (PMMK), il n'a de provincial que son financement et sa
gestion. Pour le reste et depuis 1982, date de son implantation
dans la cité balnéaire, il possède la collection
la plus représentative de l'art belge de la seconde moitié
du XXe siècle. Initiée dès 1959 par la Province
de Flandre occidentale, cette collection, à l'origine d'artistes
flamands, n'a cessé de s'élargir depuis, notamment
grâce aux Triennales d'art contemporain qui se sont tenues
à Bruges.
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RICHARD VENLET / PARAMOUNT BASICS (EXTENDED),
2002 /
MuHKA, Anvers.
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LE MUHKA À ANVERS
Comme l'énonce en préambule Bart de Baere, le nouveau
directeur du MUHKA, "la collection n'a jamais fait l'objet
d'une analyse critique de la part de cette institution (
).
Au fil des acquisitions, la collection se voulait de moins en moins
"pensée": il n'était jamais question d'établir
des rapports entre les uvres au sein de la collection"7.
A ce constat sévère pour son prédecesseur,
Bart de Baere propose une nouvelle répartition des salles
au sein du musée. L'intégralité du vaste rez-de-chaussée
est consacrée aux expositions temporaires, tandis que les
étages sont dévolus à la collection permanente
qui compte actuellement quelque sept cents pièces. Sa présentation
sera renouvelée quatre fois par an, soit la même rotation
que les expositions temporaires, avec chaque fois des éclairages
particuliers ou des contributions originales. Ainsi, pour l'inauguration
de ce nouveau cycle, c'est la rétrospective de Guy Mees -
dont le travail s'y prête à merveille - qui s'est immiscée
dans cette première présentation de la collection
dont les uvres ont été sélectionnées
avec son accord8. Ce premier
volet, exclusivement international, donne la mesure de la nouvelle
ambition du musée anversois qui se veut avant tout un lieu
de pensée et porteur d'hypothèses sur l'art: "se
positionner au plan international en tant que décideur en
matière de développement des arts plastiques"9.
Il reste à souhaiter que la réalité des faits
rejoigne les déclarations de principe.
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FAUSTO MELOTTI /
ZEFIRO TORNA E'L BEL TEMPO RIMENA, 1979 / CUIVRE, TECH-
NIQUE MIXTE, 70X60X20 / COLL. MAC'S, PROPR. COMMUNAUTÉ
FRANÇAISE.
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LE MAC'S
Le MAC's n'a certes pas la même ambition, car le terrain
de départ est beaucoup plus vierge, même si l'acquisition
de la pièce maîtresse de Boltanski, "Les Registres
du Grand-Hornu" en 1997 pouvait être considérée
comme la meilleure préfiguration qui soit pour cette collection
atypique à plus d'un titre. Comme le MAC's n'entend pas se
réduire à "une machine à visibiliser",
l'accent est ici plutôt porté sur la mise en place
d'un "site d'une production esthétique actuelle et précise
(
): le musée n'est pas seulement un entrepôt
cultivé, mais aussi une fabrique permanente"10.
Comme l'a déjà souvent répété
Laurent Busine, la collection est élaborée selon trois
axes principaux: d'abord le rapport à l'architecture et à
l'ordre de la construction, "allant du rapport extérieur/intérieur,
bâti/non bâti, jusqu'à l'architecture psychologique
qui forme la structure de notre pensée"11.
Ensuite, est pris en compte le rapport à l'histoire, non
seulement en raison de l'intégration du musée dans
ce site patrimonial, mais aussi "par ce qui fait que nous sommes
ce que nous sommes, des grands souvenirs de notre vie aux rencontres
plus fortuites". Enfin, reste le rapport au poétique,
"celui qui nous permet de connaître aujourd'hui les émotions
que d'autres connaitront dans l'avenir". Comme toute la collection
est basée sur ces trois principes qui sont aussi ceux de
l'exposition inaugurale, l'adéquation entre les deux devient
une évidence.
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RINEKE DIJKSTRA / THE NUGENT R.C. HIGHSCHOOL,
LIVERPOOL, ENGLAND, NOVEMBER 11, 1994 /
C-PRINT 120X110 CM / COLL. MAC'S, PROPR. COMMUNAUTÉ
FRANÇAISE.
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D'autres questions plus récentes se posent quand il s'agit
d'élaborer une collection d'art contemporain, à commencer
par "qu'est-ce que l'artiste dans une société?
Quel est son rôle? Qu'est-ce qu'une uvre d'art? Comment
se manifeste-t-elle? Quel lien entretient-elle avec d'autres lieux
de l'activité humaine?"12.
Toutes ces questions sont bien entendu au premier rang des préocuppations
des responsables des collections, mais ceci pourrait être
envisagé dans le cadre d'un autre dossier.
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1. Notons toutefois, que là
où la Communauté française privilégie
encore fortement l'acquisition en tant que support à la création
(sur base du budget 2001: 131.383 E pour l'achat d'uvres d'art
via la CCAP, 247.893 E pour l'achat d'uvres d'art à destination
du MAC'S, 49.578 E de bourses aux projets de jeunes artistes, 12.395
E de bourses de secours), la Communauté flamande a fait choix,
outre un montant analogue pour ses acquisitions, de conférer
une enveloppe beaucoup plus importante aux subventions octroyées
directement aux artistes, sous forme d'aides à la carrière
(- de 45 ans) et aux projets (+ de 45 ans) (744.000 E, sur base du
budget 2002).
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2. Visibilité toutefois accrue en Flandre
depuis que les 2/3 du budget d'achat de la Communauté flamande
sont réservés aux acquisitions proposées par
les musées eux-mêmes.
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3. Mais on y remarquera des uvres significatives
de Buren, Long, Oppenheim, Andre, Kosuth, Pistoletto, Anselmo, Lavier,
sans compter l'important ensemble consacré à Broodthaers.
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4. Flor Bex, La Collection II, Antwerpen, MUHKA,
1990, p.92
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5. Faute de place, il n'est pas question ici des
riches collections spécialisées du Centre de la Gravure
et de l'Image Imprimée de La Louvière, du Musée
de la Photographie à Charleroi ou encore de la Fondation pour
la Tapisserie à Tournai.
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6. Celles-ci ont été rassemblées
dans une fondation éponyme qui fait depuis partie intégrante
de la collection. Certaines d'entre elles sont montrées actuellement
dans le cadre de la présentation de "la collection, une
question de choix": Vito Acconci, Dan Graham, Matta-Clark, Nannucci,
Ruscha, Bill Vazan, etc.
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7. Bart de Baere, "La nouvelle politique
du MuHKA", in La collection, une question de choix, Antwerpen,
MuHKA, 2002, dossier de presse.
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8. La nouvelle présentation de la collection
comme la rétrospective de Guy Mees sont visibles jusqu'au 10
novembre.
La remarquable et perturbante occupation des lieux de Richard Venlet
est elle accessible jusqu'au 24 novembre Leuvensestraat 32, 2000 Antwerpen,
du mardi au dimanche de 10h à 17h, T 03/238 59 60
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9. Bart de Baere, idem
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10. Dossier de presse.
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11. Entretien avec Laurent
Busine, le 26 juin 2002.
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12. Michel Bourel, "L'uvre, chemin
de la pensée", in Collection, Bordeaux, CAPC, 1990, p.
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