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BOOGGIE WOOGIE, copyright: LAB[au]_spa[z]e
music/sPACE, navigable music + [ERZATZ]
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L'art même : Le terme "multimédia"
que l'on retrouve associé aux nouvelles technologies de l'information
peut être également employé en relation avec
l'interdisciplinarité. Que recouvre, pour vous, cette notion
en regard de certaines uvres techno-artistiques du siècle
passé?
Manuel Abendroth : A mon sens, le terme "multimédia"
n'est pas adéquat si on parle de nouvelles technologies.
Cela désignerait plutôt un terme qui relève
de la production artistique non numérique. Par contre, la
recherche menée dans l'art multimédia permet de comprendre
quelques-uns des changements qui s'effectuent actuellement dans
l'art numérique. Historiquement, je crois que l'on peut parler
de l'art multimédia depuis les futuristes et les dadaïstes
qui ont brisé les catégories traditionnelles de l'art
comme celles de la peinture ou de la sculpture... Prenons, par exemple,
les sculptures polyphoniques de Luigi Russolo ou les créations
dadaïstes produites dans le cadre du Cabaret Voltaire, il est
impossible de les classifier dans des catégories traditionnelles
d'autant plus qu'elles font appel à des média divers
tout en mettant en question les pratiques artistiques jusqu'au statut
de l'artiste même. En conséquence il ne s'agissait
pas uniquement de l'emploi des différents média et
technologies mais également d'une conception nouvelle de
l'art et du rôle de l'artiste. La question qui se pose pour
nous est celle-ci: comment les technologies influencent-elles la
production d'artefact, donc celle du signe et du langage, et comment
à travers ceux-ci de nouvelles pratiques artistiques émergent?
Avec les technologies numériques, toute information est le
produit d'un processus de computation, traitement de données,
et de communication, transfert de données. Que ce soit un
texte ou une image, tout est réduit à une séquence
binaire permettant tant sa transmission à travers différents
canaux que son interconnexion ou des mises en forme. Il s'agit donc
d'un système qui unifie l'information à une même
unité de base, ce qui a comme conséquence de parler
plutôt de média ou d' "hypermédia"
que de multimédia. Prenons, par exemple, "Broadway Boogie
Woogie", une des dernières peintures réalisées
par Mondrian à la fin de sa vie (1944) qui montre la ville
de New York vue d'un gratte-ciel, en écoutant une composition
de jazz. Dans ce tableau, Mondrian faisait un trait d'union entre
ses recherches sur l'espace pictural avec celles de l'architecture
et de la musique. Comme pour les peintures de Kandinsky basées
sur la musique de Moussorgski, il s'agit d'un système d'analogie,
donc de rapprochement entre des codes visuels, sonores et spatiaux.
Avec les technologies numériques, il ne s'agit plus d'une
analogie, puisque que les différentes sources d'information,
l'image ou le texte, se fondent sur la même unité de
base et tout ce qui est mis en relation doit être programmé
et représenté pour constituer un langage, un système
de signes. Dans le rapport image/musique, certaines des pièces
de Xenakis sont des exemples pertinents de ces relations "programmées"
-je pense plus particulièrement aux Polytopes- comme le sont
toutes les formes d'audio-visualizers (visualisation de niveau/fréquence
ou autre du son). En ce qui concerne les technologies numériques,
il est évident qu'il ne s'agit pas de plusieurs média
comme le suggère le terme multimédia mais d'un seul
médium, un hypermédia qui unifie toutes les formes
d'expression (son, visuel,...) et qui permet leur mise en relation
"programmée" et leur interconnexion.
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lec [Metropolis / robot by Oskar Schlemmer],
copyright: LAB[au]_spa[z]e music/sPACE, navigable music +
[ERZATZ]
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A.M. : Avec LAB[au], vous vous êtes beaucoup intéressés
aux grands pionniers de la cybernétique et la théorie
de la communication (Mc Luhan, Wiener et d'autres) notamment dans
vos recherches sur l'hypertexte. Quels sont aujourd'hui les principaux
enseignements à en retirer pour la "création
hypermédia"?
M.A. : L'hypertexte, peut-être en conséquence
de sa dénomination, induit, pour beaucoup de gens, qu'il
s'agit d'une forme d'écriture, une forme narrative. Par contre,
l'hypertexte, comme le définit Nelson, l'inventeur du mot,
est un système d'indexation d'information permettant l'interconnexion
de documents distincts à l'aide
d'hyperliens tout en procurant les instructions nécessaires
pour sa visualisation sur un écran. Le préfixe "hyper"
décrit la couche d'information supplémentaire qualifiant
un document par rapport à sa localisation, à son indexation
dans une structure, celle-ci permettant des interconnexions avec
d'autres documents. La couche dénommée "meta"
qualifie, quant à elle, le niveau sémantique (hyperlien)
et l'ensemble des éléments graphiques qui les représentent
(signe). Par rapport à cette définition de l'hypertexte
qui date des années 60, on peut dire qu'à l'heure
actuelle, l'augmentation de la puissance computationelle des outils
de traitement de l'information permet de plus en plus l'interconnexion
entre différents types d'information (documents textes, visuels,
sonores...), ce qui amène à parler plutôt d'hypermédia
que d'hypertexte. La question d'hypermédia relève
donc de la question de logique de structuration d'information autant
que des logiques inter-relationnelles entre ces différentes
formes d'expression, comme par exemple une musique visuelle, un
texte spatial, ou encore que de leur forme de représentation,
donc du signe et du langage. Il en résulte que, dans le domaine
des nouveaux média, il est nécessaire de mener un
travail tant théorique que pratique dans l'élaboration
d'un langage et d'une méthodologie propres au médium
numérique. C'est avec cet objectif que nous travaillons depuis
la création du LAB[au] à l'élaboration de méthodologies
que nous regroupons sous le terme de "MetaDesign", pour
essayer d'articuler nos concepts dans une démarche plus générale.
Connaître et surtout comprendre un médium est essentiel.
Il faut donc connaître son historique mais également
comprendre quelles étaient les intentions fondatrices qui
ont provoqué son évolution.
A.M. : Parmi les avant-gardes de la modernité qui se
sont positionnées dans le rapport art-technologie, quelles
sont celles qui vous semblent aujourd'hui particulièrement
fondatrices par rapport à cette relation en constante interaction
et en quoi précisément?
M.A. : Pour nous et dans le domaine artistique, les travaux
ou mouvements les plus "initiateurs" ne relèvent
pas uniquement de l'expérimentation artistique mais surtout
d'une démarche théorique et méthodologique ayant
comme but l'articulation du système de signes par rapport aux
modalités spécifiques des média/technologies
en une forme cohérente. Les travaux des artistes du Bauhaus
et ceux des constructivistes russes sont très parlants dans
leur rapport aux technologies et à la recherche méthodologique,
proposant la fondation d'un art et d'un statut d'artiste nouveaux
à travers une approche basée sur les changements sociaux
et politiques, qui sont bien évidemment en relation aux progrès
technologiques. Ce qui, dans l'exemple du Bauhaus, est l'industrialisation
et l'émergence du design ou, dans le cas de l'école
d'Ulm, la post-industrialisation avec le design industriel, correspond
aujourd'hui à la révolution informationnelle et au MetaDeSign.
Avec chaque avancée technologique, de nouveaux codes (sémantique)
et méthodes (pratique) émergent. Par ailleurs, l'on
peut remarquer qu'ils sont souvent révélés par
les termes qui les désignent. L'apparition du concept de "design"
autour du Bauhaus (et particulièrement avec El Lissitzky) avait
donc pour but de qualifier des enjeux artistiques en relation aux
changements technologiques et sociaux afin de réintroduire
ceux-ci dans le concept même de l'art. Mais parler d'un système
de signes et de la "signification" indique non seulement
la signification que quelque chose prend pour nous, mais également
notre intention à son égard, ce qui ramène la
sphère technique à la mise en place d'engagements mais
aussi de disciplines. Il s'agit donc d'une définition du champ
artistique entièrement intégré dans l'ensemble
des autres sphères, autant au niveau culturel que social, économique
ou même idéologique. Mais pour poursuivre votre interrogation
quant aux différentes avant-gardes et leurs fondements dans
la relation création-technologie, je me référerais
à une citation célèbre de Marshall Mc Luhan,
"the medium is the message". Les technologies ne sont pas
des systèmes externes mais font intégralement partie
de notre système sensoriel et cognitif, donc déterminent
les modes de communication/expression comme la manière dont
nous percevons et concevons notre environnement. C'est aussi pour
ça que la révolution technologique en cours a tellement
d'importance tant au niveau ontologique qu'esthétique.
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