Ministère de la Communauté française de Belgique 


l'art même
# 21
 
 
De l'exposition (de l'art)
à la surexposition (du commissaire)
par Paul Ardenne(*)

Daniel Buren, en 1972, fustige de la sorte Harald Szeemann "montant" la Documenta de Kassel dont il est alors le curator invité : ce dernier, estime-t-il, n'a cure des artistes, il utilise leur création pour constituer œuvre et carrière propres, en opérant en parasite1. Ce que pointe de concert le Français, plus largement, c'est le début d'une culture de l'assujettissement réglée par l'institutionnalisation du champ artistique (politique volontaire des États ou de leurs relais économiques, hausse du nombre des centres et des musées d'art contemporain, multiplication des biennales, création d'un personnel administratif spécialisé...). Et son inévitable conséquence en termes commissariaux.

 

Si le curator originel se tenait le plus souvent au second plan, laissant la gloire aux artistes exposés sous sa coupe, le curator seconde génération a toujours soin de faire valoir que son exposition est conceptuelle et, comme telle, une création de son esprit. Szeemann, Rudi Fuchs, Eddy de Wilde, Pontus Hulten... sont de cette trempe, que rend du moins respectable leur profonde connaissance de l'art et une Weltanschauung présentable. Car passé le temps des pionniers à grosse tête vient celui des petits maîtres, qui reprennent les tours de leurs aînés mais eux, en laissant l'esprit dans la remise. Tout ce que consacrent les années 1980, celles de l'intronisation de cette troisième génération curatoriale ayant compris comment se faire un nom propre avec le sang des autres. En l'occurrence, pas de meilleure manière d'exister que de faire des expositions, si possible de calibre international, sous cette condition impérative : les personnaliser à outrance.

Une dépossession
Pas n'importe quelles expositions, précisons-le. Des expositions collectives, d'abord, dont l'énoncé a priori peu vertébré va gagner à être "charpenté" par l'entremise du curator. La classique exposition thématique tend à passer la main, pour cette raison: elle assimile la fonction du curator d'exposition, voulue comme dynamique, à celle du conservateur de musée, ce garant des sédimentations culturelles. Ont le vent en poupe, plutôt, les sélections signées (l'art vivant selon X ou Y...), les expositions vrac-tendance ou de logique floue (titre sibyllin et contenu fourre-tout mais à la mode), toutes aptes à marier concept ectoplasmique et sélection racoleuse.

Se périme, parallèlement, l'exposition in situ, qui laisse trop de champ à l'artiste, au profit des expositions-bazar, triomphe de l'électisme non justifié (ne parlons même plus de l'exposition recourant au "White Cube", cet espace voué à la mise en gloire de l'œuvre exposée, virée archaïque). Un des exemples de ce curatoring new look est fourni en 1994, à Gand, par l'exposition This is the Show and the Show is Many Things (un titre, d'ailleurs, qui dit tout), supervisée par Bart de Baere : œuvres d'art par tombereaux disposées selon un mode chaotique, sens ouvert jusqu'à l'écartèlement... Rien à comprendre mais tout à voir tandis qu'on peine à se rappeler autre chose que le nom du commissaire - un commissaire devenu l'équivalant d'un directeur artistique (influence de la mode) et d'un DJ (sélection de type sampling), figure tutélaire dont le propos est moins de mettre chaque œuvre exposée à ce qui serait sa "juste" place que d'opérer en usant d'une muséographie des effets, par nature sidérante et séductrice. Indélicatesse du curator à l'égard de l'art même ? Oui, dans le cadre d'une stratégie de renversement pratique comme symbolique. Le curator ? Il n'est plus au service de l'art mais l'inverse prévaut, l'art ne semble devoir exister que pour lui permettre d'exprimer son propre point de vue sur l'art, s'il en a un, ou, à défaut, son sentiment de la vie.

Par défaut pour l'art d'un territoire qui lui soit propre
Les artistes, pendant ce temps ? Ils perdent tout contrôle sur le système artistique, tutellisés par des populations de fonctionnaires sélectionneurs maîtres du territoire de l'exposition (centres d'art contemporain, biennales) et, par rebond, de celui de l'élection (collusion avec le marché et la critique d'art2). Cette mainmise commissariale sur l'art a cette conséquence princeps : l'inféodation de la création au régime de sa réception et de sa "mise en valeur". Dans ce système où la mise en valeur profite non plus tant à l'œuvre d'art qu'à ceux qui la médiatisent (la technique du tandem Collins & Milazzo, à New York, voici déjà plus de quinze ans), l'œuvre d'art est moins un artefact de contenu symbolique qu'une occasion d'échange artiste-institution, un objet de deal. Nombre d'œuvres d'art, dans une telle atmosphère, s'adaptent ainsi dès création aux contraintes de l'exposition telle que la formatent ses promoteurs institutionnels, jouant pour ce faire de mimétisme, s'entend, à toutes fins de leur mise aux normes. Les sculptures sur étagères de Koons ou livrées sur gondoles de Steinbach, dans les années 1980, avaient encore pour elles une certaine charge (certes bien aimable et inoffensive) de sédition: les exposer ainsi modélisées et ce, souvenons-nous, sur fond de marché de l'art "hyperbolique" des Eighties, revenait à exposer une métaphore du destin de l'œuvre d'art à l'heure de sa merchandisation alors triomphante. Par comparaison, les réalisations d'un Tobias Rebherger, spécialiste du design cosy et de l'esthétique type Mobilier d'exposition, les présentations à plat de Heger & Dejanov, évoquant, celles-ci, le dispositif d'achalandage des magasins d'habillement branchés genre Prada, Comme des Garçons ou Armani, ou encore les espaces relationnels confectionnés par Michael Lin, agençant, pour le plus grand confort d'un spectateur qui y conjoint visite d'exposition et pure détente, tapis décoratif, sofas, poufs et éclairage d'ambiance, se sont pour leur part alignés sur le modèle idéologique institutionnel dominant prévalant en matière d'exposition. Fort en vogue aujourd'hui, prise en charge dès l'amont par nombre d'artistes sans le moindre état d'âme, cette scénographie de type display (étalage) consacre un art tout à la fois livré comme création singulière et organiquement lié au principe de son exposition, conjuguant avec son être sa propre mise en valeur médiatique ou spectatorale. Un principe d'adaptation anticipant l'exposition mais pour mieux en autoriser le succès au nom de ce précepte chéri des artistes en quête d'une success story : la fin de l'art, c'est d'abord son exposition, sa livraison au public, qu'on aura soin de faciliter l'une comme l'autre.

Il s'agit bien de faire, en l'état, le constat d'un échec. Les artistes de ce début de XXIe siècle ? À l'encontre des exemples antithétiques qu'incarnèrent naguère Courbet, Manet, les Sécessionistes ou les futuristes, eux semblent exclus du territoire de l'exposition. Pire, tout se passe comme si la question même de l'exposition, par effet de renoncement ou par inversion de l'intérêt, ne les stimulait plus (sauf, de façon narcissique, s'il s'agit d'y paraître): soit parce que l'artiste peut estimer que la question de la médiation de son œuvre n'est pas son affaire, et s'en remettre pour la régler à ceux dont c'est devenu le travail; soit parce que le territoire artistique est à ce point occupé et régi par autrui qu'il paraît dorénavant vain d'espérer y acquérir quelque représentation autonome. La période 1960-1990, avec une intensité réelle quoique déclinante, vit encore les artistes s'organiser dans le but de l'auto-exposition, comme en attestait à cette époque la création de nombreux artists run spaces alternatifs ou l'organisation d'expositions sous contrôle artistique. Les dix années écoulées, en termes d'exposition, sont au contraire celles d'un effritement de la représentation de l'artiste, exclu de la décision, celles aussi de la mise sous condition, voire de la confiscation du droit naturel d'exposer. Le croît de la tutelle institutionnelle, dans le même temps, minore la position de l'artiste au profit de celle des fonctionnaires de l'art, un personnel dont la préoccupation constante va être de travailler son image dans le sens de la compétence mais aussi de la légitimation du leadership. Parce que l'art émergent est profus; parce qu'il peut, du coup, apparaître confus, il s'agit toutes affaires cessantes d'en débrouiller l'écheveau pour un public peu informé de la création plastique la plus contemporaine mais pas forcément réfractaire à celle-ci. Ce travail d'éclaircissement, entend-on çà et là, il revient en toute logique aux fonctionnaires de l'art de le mener - un travail dont on devine qu'il ne sera pas seulement d'éclaircissement, qui suppose sui generis une sélection et sa conséquence, une pratique d'exclusion, avec à la clé cet avantage: amoindrir le pouvoir décisionnel de l'artiste, le marginaliser, effondrer son traditionnel statut d'acteur politique.

L'exposition comme spectacle de l'artiste déchu
De tels propos, sans doute, seront considérés comme une charge (au demeurant devenue habituelle, lancée tant et plus par les aigris ou les vaincus) contre l'officialité. Ce qu'ils ne sont pas. L'artiste a-t-il perdu le contrôle sur l'exposition? Que ça plaise ou non, convenons que c'est sa faute, plus que celle de l'institution. Dédain, passivité, choix de l'assujettissement s'avèrent à ce registre des attitudes d'artistes tout ce qu'il y a de courantes, et sans cesse reconduites. On le sait bien: tout artiste "attrapé" par l'institution cesse immédiatement de revendiquer quoi que ce soit, il devient docile et coopératif.

La prise de pouvoir institutionnelle, à dire vrai, n'est pas tant l'effet de l'indéniable volontarisme de l'institution en charge de l'art vivant depuis un demi-siècle que celui de la lâcheté de nombre d'artistes, du fait en particulier de leur position d'attente de la consécration officielle. Si l'artiste a perdu le contrôle sur l'exposition, par surcroît, c'est aussi faute de savoir ou faute de simplement pouvoir s'opposer, comme on l'a de nouveau vérifié il y a peu, à l'occasion des récentes assises de la création organisées à Paris par le C.A.A.P.3. Outre les divergences entre artistes quant à savoir exactement comment composer avec les institutionnels de l'art (soit collaborer mais en avertis, soit instrumentaliser à tout crin, soit refuser en bloc ce qui émane du pouvoir...), on y aura noté l'importance, dans maints débats, de la question toujours pendante de la survie économique, et relevé dans la foulée la solution en la matière la plus souvent espérée des artistes, la demande d'un salaire ou d'aides structurelles d'origine étatique. Une demande, n'en doutons pas, d'une ironie cruelle. De l'aide de l'État, l'artiste peut espérer à bon droit plus de liberté. Sans souci matériel, pas de doute qu'il ne crée mieux. Mais ce sera alors au prix de sa propre "fonctionnarisation"...

Perte de contrôle sur l'exposition, tendance à l'apathie, à l'asservissement ou à la revendication corporatiste... L'artiste, fragilisé, ne peut que constater sa graduelle mise sur la touche. Comble de l'humiliation: cette mise sur la touche, au regard de la Gestalt spécifique de l'exposition, il a même tout loisir de la constater spectaculairement, mise en scène qu'elle est de manière aussi voyante qu'humiliante par des curators de plus en plus indifférents au propos spécifique des artistes parce que soucieux surtout de faire valoir via l'exposition leur propre propos sur eux-mêmes. Cette évolution est plus lourde de sens qu'il n'y paraît. Côté institution, elle consacre l'avènement d'un mode d'exposer d'essence non plus seulement individualiste-pédagogique (le modèle Szeemann) mais, en tendance, narcissique-masturbatoire: l'art à proprement parler n'est plus exposé, c'est le commissaire qui l'est et, de concert, ses éruptions mentales personnelles, traduites pour la circonstance en statements expositionnels. Côté artistes, et parce qu'elle bénéficie au leadership institutionnel, une telle évolution assèche toute possibilité pour ces derniers de rencontrer un jour le public sans filtrage ni intermédiaires, en plus d'intensifier la tentation à la récupération et d'attiser l'hésitation entre servitude et isolement.

L'"auteur d'exposition" ou le curator exposé en beauté
C'est dans ce contexte du pire marasme pour l'artiste qu'apparaît le dernier avatar du curator en art contemporain, l'"auteur d'exposition", une formule empruntée à Szeemann par un des co-directeurs très en vogue du Consortium de Dijon, Éric Troncy, lui-même grand adepte du genre.

"Auteur d'exposition"? Le curator, cette fois encore, ne se consacre qu'aux expositions collectives, où l'on peut noyer ou diluer sans risque toute singularité artistique. Le commissariat de l'"auteur d'exposition", toutefois, a ceci en propre qu'il va ostensiblement éloigner de ce grand ensemble esthétique flou toute affiliation possible à quelque concept que ce soit. Si dans ce cas l'on joue bien du sample et au directeur artistique, c'est comme un enfant colle ses gommettes de couleurs différentes dans un album, en fonction de ses goûts et de rien d'autre, sans nulle contrainte de nature intellectuelle. Démonstration avec Coollustre, exposition curatorée par Éric Troncy ayant eu lieu en Avignon durant l'été 2003, dans les murs vénérables de l'espace d'art du collectionneur et galeriste Yvon Lambert4. Coollustre? Tout et n'importe quoi, quoique toujours clinquant, et tout le monde et n'importe qui, entre Bernard Buffet et Helmut Newton, Hugo Rondinone ou Piero Gilardi, sans oublier le ban et l'arrière-ban de la mode et quelques artistes de la galerie Yvon Lambert. Pas de thématique ciblée, pas non plus de structuration conceptuelle, encore moins de souci sémantique, du moins offert de façon lisible au spectateur. Autant que faire se peut, il s'agit de rester vague, de reconduire sans aspérité l'esthétique du mix en cours dans le monde actuel, mais alors versant soft, et côté déco. Le titre même de l'exposition? Indéterminé ou, renseignement pris, emprunté sans que l'on sache pourquoi à la cosmétique et aux crèmes de soin (message subliminal, peut-être: le cosmétique n'est pas seulement dans le titre de l'exposition?).

Coollustre, donc, l'exposition? Susciter de jolies confrontations visuelles, de sémillants télescopages plastiques. Installer le spectateur dans la tête de l'"auteur d'exposition" et lui faire partager ses lubies comme ses enthousiasmes de midinette - pour ces derniers, concernant Coollustre, le texte de chansons du groupe de rock guimauve Eurythmics inscrit pour la circonstance au Letraset sur les murs, d'une insipide naïveté.

On l'aura compris: exposer, à cette aune, n'a plus rien à voir avec l'art mais renvoie tout au contraire à la psychologie, voire à la cure psychanalytique, tandis que le curator libère fantasmatiques propres et frustrations sur un mode qui est celui de l'érotomanie. Belle exposition, effets séducteurs, allègement maximal de la réflexion (l'"auteur d'exposition" écrit des expositions, pas des catalogues d'exposition, nuance), réception facilitée par l'absence de conceptualisation et le goût que tout un chacun a loisir de trouver dans des œuvres disparates dont quelques-unes au moins rencontrent inévitablement son adhésion: à l'évidence, le désir criant du curator, ici, c'est d'être aimé à tout prix. Faire l'économie d'une thématique, dans cette lumière, s'avère un préalable obligé. L'important, c'est l'épanchement personnel, l'exhibitionnisme de l'intime commissarial lors même que les artistes réquisitionnés pour ce strip-tease new model se voient solidairement associés au destin sensible du curator (qu'en pensent-ils, d'ailleurs? On n'en a pas, hélas!, la moindre idée5).

Tyrannie + caprice = norme
Se proclamer "auteur d'exposition", on s'en doute, ne vous taille pas d'emblée ce costume du démiurge tant rêvé des fonctionnaires de l'art ou des animateurs culturels. Encore faut-il, pour cela, que le système de l'art et ses représentants en vue autorisent la transmutation (pour le reste, comme l'on sait, le public suivra, du moins le public qui compte, celui des aficionados). De ce côté-là, pas de réel problème aujourd'hui, comme l'a montré jusqu'à l'obscénité le cas Coollustre. L'intérêt dévôt dont l'exposition a pu bénéficier dans la presse et parmi les professionnels est certes l'effet des renvois d'ascenseurs, aussi fréquents qu'inévitables dans un milieu coopté où les fonctions sont aussi précaires que croisées. On peut penser que cet intérêt, moins claniquement, résulte encore de la levée d'une contrainte d'ordinaire mariée aux expositions-concept, celle de la nécessité de penser: il faut toujours, dans leur cas, en sus de la seule jouissance du spectacle, consentir à la réflexion, selon le principe d'un "Regarde mais pense". Coollustre, pour sa part, lève un tabou. Cette fois, on ne requiert en rien le travail du spectateur, on le convie au contraire à la paresse bienheureuse ("Regarde et repose tes méninges"). Si les expositions d'"auteur" du type de Coollustre visent juste et plaisent, c'est au moins de solliciter ce côté-ci de la psyché spectatorale, le côté a-culturel. Combinaison plastique régressive mais euphorique, flattant le public en lui servant ce qui lui tient le plus à cœur, la légèreté. Une extase acquise à bon compte, par le futile.

On pourra, artiste, choisir de s'indifférer de ce type d'expositions sacralisant le light et le flashy. Ce serait oublier pourtant combien il en va là d'un véritable enjeu culturel où se joue le statut de l'artiste à l'ère de sa dépossession, un artiste dont le curator, de surcroît, prétend légitimement occuper la place et le rang. Au nom de quoi? De se décréter "auteur", justement, créateur à part entière, quelqu'un qu'il faut considérer comme libre de sa création, que rend respectable mais aussi autonome sa faculté de créer. "Auteur"? Soit, mais alors qu'il soit permis de rappeler que ce terme dérive du latin auctoritas, l'autorité, et qu'être un "auteur" c'est devoir avant tout endosser la défroque darwiniste du sélectionneur: celui qui choisit un mot ou un vers plutôt qu'un autre, un plan filmique ou une didascalie plutôt que d'autres. L'"auteur d'exposition", à cet égard, peut revendiquer d'être l'équivalent d'un écrivain, d'un cinéaste, d'un dramaturge ou d'un poète. Mais à ces conditions, auxquelles on devine qu'il répugne à souscrire: reconnaître, de sa fonction, ce qu'elle a d'implacablement arbitrale et dictatoriale; avouer que son magistère est exercé non pas affectivement mais au contraire avec violence, de façon solipsiste, fonction de qui sélectionne, admet ou exclut, arrange et combine selon son bon plaisir (toute création authentique est abusive, éliminatrice et sectaire) - un magistère en l'espèce exercé au prorata du caprice de l'auteur, caprice dont l'issue, pour peu que le curator bénéficie d'un pouvoir quelconque, peut accoucher d'une norme, dirait Francis Haskell.

Ne rien pouvoir faire qu'attendre la fin du temps des caporaux
L'actuelle évolution des manières d'exposer l'art vivant? Celle-ci n'est pas sans consacrer le pouvoir des intermédiaires et, de concert, le déclassement des artistes. Selon une pente (multiplication des biennales, allongement des listes commissariales, consolidation du système institutionnel de l'art...) qui n'est pas proche de finir. En vertu d'une logique n'ayant a priori rien d'irréaliste, on peut toujours imaginer un monde de l'art où les artistes seraient d'abord considérés, où ils occuperaient un rang non pas second mais premier, et où l'administration de l'art serait non point caporaliste mais en priorité soucieuse de service, tout bonnement. Si tant est que cette évolution s'avère encore possible, et d'actualité quelque jour à venir, il importe toutefois de savoir attendre. Votre rôle, artistes, d'ici là? Être de toujours plus disponibles instruments du pouvoir des curators-auteurs.

 
(*). Historien de l'art et écrivain, Paul Ardenne est l'auteur de Art, l'âge contemporain (1997), L'Art dans son moment politique (2000) et L'Image Corps (2001). Il publie cet automne Portraiturés (éditions du Regard), une étude consacrée au portrait photographique, Codex Ricciotti (éditions Birkhaüser), première monographie de l'architecte Rudy Ricciotti, plus un roman, La Halte (éditions QUE).

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1. Daniel Buren, "Exposition d'une exposition", in catalogue Documeta V, Kassel, 1972, p. 27. Cette remarque de Buren, à quoi rien n'est à rajouter: "De plus en plus le sujet d'une exposition tend à ne plus être l'exposition d'œuvres d'art, mais l'exposition de l'exposition comme œuvre d'art (...). L'artiste et son œuvre (...) ne peuvent plus que laisser exposer un autre: l'organisateur."

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2. Le terme "critique d'art", dans cette atmosphère, paraît toujours plus galvaudé. Voyons-y plutôt le signe d'un indéniable déclin de la critique, par nature portée à sélectionner et à exclure, au profit de l'animation culturelle, prompte, elle, à médiatiser tout ce qui se révèle de nature à "bouger" le fait culturel établi, fût-ce du vent.

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3. Deux journées de débats organisées par le Comité des Artistes Auteurs Plasticiens à Paris, Halle de la Villette, les 19 et 20 septembre 2003, dans le but clairement annoncé de remettre l'artiste au centre.

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4. Coollustre, Collection Lambert en Avignon, 25 mai-28 septembre 2003.

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5. L'explication qu'Éric Troncy donne dans le Journal du CNP de son statut d'"auteur d'exposition", plus les justifications qu'il s'autorise (Centre National de la Photographie, Paris, n° 20, automne 2003, p. 12) sont à cet égard très instructives: sorte de plaidoyer pro domo où l'on manie la casuistique autopromotionnelle en n'oubliant pas une seule ligne un auto-encensement qui peut inquiéter autant qu'il prête à sourire (son recyclage caricatural des théories de la causa sui et du moi idéal, notamment). Notons qu'aucun artiste, ici, n'est cité.

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