Le copyright est né en 1710 en Angleterre1
d'une double préoccupation: en attribuant un droit directement
aux auteurs, la Reine Ann Stuart, protestante voulait, d'une part,
briser le monopole dont jouissait la Compagnie des imprimeurs d'Angleterre
depuis 1557, tout en empêchant la survenance de nouveaux monopoles
et, d'autre part, limiter l'emprise de la Compagnie sur le choix
trop sélectif des uvres publiées2.
Dans ce contexte économique et politique particulier, l'instauration
du copyright au bénéfice des auteurs a favorisé
la circulation des idées, et tout spécialement celles
de la Réforme. Dans le même souci d'éviter la
résurgence de monopoles illimités dans le temps, le
Queen Ann's Act de 1709 octroyait aux auteurs une protection d'une
durée relativement brève (deux fois 14 ans), et surtout,
prévoyait la résiliation obligatoire du transfert
du droit à l'éditeur au terme d'une première
période de protection (14 ans).
Trois siècles plus tard, les auteurs jouissent toujours d'un
droit, et celui-ci est nettement plus étendu (jusqu'à
70 ans après la mort de l'auteur3),
mais les législateurs se sont de moins en moins préoccupés
de limiter dans le temps le transfert du droit aux utilisateurs
(éditeurs, producteurs, etc.). En consé-quence, de
plus en plus souvent, les droits patrimoniaux sont cédés
pour toute leur durée aux opérateurs économiques,
quand ils ne leur sont pas directement attribués par la loi
(uvres logicielles des salariés, collectives, audiovisuelles).
En pratique, les auteurs ne bénéficient plus que de
leurs droit moraux (lorsqu'ils disposent des moyens pour les faire
respecter
), et des redevances de droit d'auteur, qui ne sont
financièrement significatives que dans le cadre d'une exploitation
culturelle de masse ou en cas de succès no-toire. Les artistes
sont les premiers à vérifier cette pyramide au sommet
de laquelle on trouve les artistes starifiés et à
la base les artistes prolétarisés.
Aujourd'hui, la mondialisation de l'économie et le retard
d'adaptation des systèmes de gouvernance politique permettent
les regroupements multinationaux d'entreprises et leur intégration
verticale au niveau mondial (fabrication de contenu, édition,
diffusion et transport), et sous-tendent la réapparition
de situations monopolistiques où le droit d'auteur dans ses
plus récents développements (protection des bases
de données, des logiciels, protection des mesures techniques
de protection, durée, exceptions
) apparaît comme
un véritable privilège.
En réalité, on peut dire que le copyright ou le droit
d'auteur n'est plus aujourd'hui un droit de l'homme, mais un droit
économique de l'entreprise4
qui bénéficie d'un monopole quasi illimité
puisque la protection peut courir pendant près d'un siècle
et demi! 5. Cette concentration
de la maîtrise des flux de contenu, nouvelle et unique dans
l'Histoire, force l'inquiétude face à la régression
de l'influence des structures politiques actuelles. Assisterait-on
à l'émergence d'une nouvelle féodalité,
économique? 6.
Dans le contexte particulier de l'économie du numérique,
le mouvement "copyleft", révèle l'attitude
de communautés d'internautes voulant privilégier un
travail en collaboration, la liberté d'échange de
savoirs et le don de sa propre contribution au bénéfice
de tous. Lancé par Richard Stallman (Linux) en réaction
à la logique propriétaire qui touche l'économie
du logiciel notamment (Microsoft), ce mouvement a aujourd'hui gagné
d'autres couches de personnes comme les enseignants, les chercheurs,
mais aussi les artistes (Art Libre). Ce mouvement génère
un véritable domaine public libre d'origine privée
dont les uvres peuvent être librement exploitées,
reproduites, copiées, adaptées.
Dans le domaine de l'Art, cette logique collaborative autorise le
plagiat ou la copie. Les uvres qui en dérivent deviennent
elles-mêmes des signes de reconnaissance par les paires ou
directement par le public qui reconstruisent la valeur vraie de
l'Art, parallèlement à sa valeur marché. Le
droit d'auteur est dès lors considéré comme
un obstacle à la création, ainsi qu'à sa diffusion.
Le mouvement Art Libre se place donc en dehors des schémas
classiques de fabrication de la valeur de l'Art7.
Paradoxalement, pour garantir la libre utilisa-tion de ce domaine
public libre d'origine privée et
permettre l'accès aux uvres par le plus grand nombre
de personnes, ces communautés ont élaboré des
licences basées elles-mêmes sur le respect du droit
de l'auteur (licence GPL, GNU pour les logiciels8;
licence Art Libre pour l'art contemporain9).
Ces licences sont dites contaminantes: l'auteur de l'uvre
originaire abandonne ses droits sur sa contribution mais son nom
doit rester mentionné sur toute reproduction, et toute personne
uti-lisant tout ou partie de cette contribution doit se soumettre
à cette règle; elle peut néanmoins exploiter
comme elle l'entend sa propre contribution à la condition
que celle-ci soit indépendante. Contrairement au domaine
public, le domaine public libre d'origine privée ne peut
donc faire l'objet d'une exploitation commerciale: il constitue
un bien commun. Toutefois l'uvre source, en sa qualité
de support originaire, peut continuer à faire l'objet de
transactions.
Cette récente évolution doit être mise en parallèle
avec l'évolution des formes de l'Art contemporain, lui-même
de plus en plus immatériel. Depuis Duchamp, la notion juridique
d'uvre d'art, issue des travaux philosophiques et juridiques
des 18e et 19e siècles, qui ont lié intrinsèquement
la personne de l'auteur à l'uvre-objet a éclaté10:
l'artiste devient en tant que tel l'élément de référence
en apposant sa marque11:
la notion d'uvre-marque s'est aujourd'hui substituée
à l'uvre-objet. Leonardo da Vinci12,déjà,
n'écrivait-il pas que l'uvre d'art c'était lui,
et non son uvre qui n'en était qu'une certaine matérialisation
Licence Art Libre
PRÉAMBULE
Avec cette Licence Art Libre, l'autorisation est donnée de
copier, de diffuser et de transformer librement les oeuvres dans
le respect des droits de l'auteur.
Loin d'ignorer les droits de l'auteur, cette licence les reconnaît
et les protège. Elle en reformule le principe en permettant
au public de faire un usage créatif des oeuvres d'art. Alors
que l'usage fait du droit de la propriété littéraire
et artistique conduit à restreindre l'accès du public
à l'oeuvre, la Licence Art Libre a pour but de le favoriser.
L'intention est d'ouvrir l'accès et d'autoriser l'utilisation
des ressources d'une oeuvre par le plus grand nombre. En avoir jouissance
pour en multiplier les réjouissances, créer de nouvelles
conditions de création pour amplifier les possibilités
de création. Dans le respect des auteurs avec la reconnaissance
et la défense de leur droit moral.
En effet, avec la venue du numérique, l'invention de l'internet
et des logiciels libres, un nouveau mode de création et de
production est apparu. Il est aussi l'amplification de ce qui a
été expérimenté par nombre d'artistes
contemporains.
Le savoir et la création sont des ressources qui doivent
demeurer libres pour être encore véritablement du savoir
et de la création. C'est à dire rester une recherche
fondamentale qui ne soit pas directement liée à une
application concrète. Créer c'est découvrir
l'inconnu, c'est inventer le réel avant tout souci de réalisme.
Ainsi, l'objet de l'art n'est pas confondu avec l'objet d'art fini
et défini comme tel.
C'est la raison essentielle de cette Licence Art Libre : promouvoir
et protéger des pratiques artistiques libérées
des seules règles.
DÉFINITIONS
L'oeuvre:
il s'agit d'une oeuvre commune qui comprend l'oeuvre originelle
ainsi que toutes les contributions postérieures (les originaux
conséquents et les copies). Elle est créée
à l'initiative de l'auteur originel qui par cette licence
définit les conditions selon lesquelles les contributions
sont faites.
L'oeuvre originelle:
c'est-à-dire l'oeuvre créée par l'initiateur
de l'oeuvre commune dont les copies vont être modifiées
par qui le souhaite.
Les oeuvres conséquentes:
c'est-à-dire les propositions des auteurs qui contribuent
à la formation de l'oeuvre en faisant usage des droits de
reproduction, de diffusion et de modification que leur confère
la licence.
Original (source ou ressource de l'oeuvre):
exemplaire daté de l'oeuvre, de sa définition, de
sa partition ou de son programme que l'auteur présente comme
référence pour toutes actualisations, interprétations,
copies ou reproductions ultérieures.
Copie:
toute reproduction d'un original au sens de cette licence.
Auteur de l'oeuvre originelle:
c'est la personne qui a créé l'oeuvre à l'origine
d'une arborescence de cette oeuvre modifiée. Par cette licence,
l'auteur détermine les conditions dans lesquelles ce travail
se fait.
Contributeur:
toute personne qui contribue à la création de l'oeuvre.
Il est l'auteur d'une oeuvre originale résultant de la modification
d'une copie de l'oeuvre originelle ou de la modification d'une copie
d'une oeuvre conséquente.
I. OBJET
Cette licence a pour objet de définir les conditions selon
lesquelles vous pouvez jouir librement de cette oeuvre.
II. L'ÉTENDUE DE LA JOUISSANCE
Cette oeuvre est soumise au droit d'auteur, et l'auteur par cette
licence vous indique quelles sont vos libertés pour la copier,
la diffuser et la modifier:
1. La liberté de copier (ou de reproduction)
Vous avez la liberté de copier cette oeuvre pour un usage
personnel, pour vos amis, ou toute autre personne et quelle que
soit la technique employée.
2. La liberté de diffuser, d'interpréter
(ou de représentation)
Vous pouvez diffuser librement les copies de ces oeuvres, modifiées
ou non, quel que soit le support, quel que soit le lieu, à
titre onéreux ou gratuit si vous respectez toutes les conditions
suivantes:
- joindre aux copies, cette licence à l'identique, ou indiquer
précisément où se trouve la licence,
- indiquer au destinataire le nom de l'auteur des originaux,
- indiquer au destinataire où il pourra avoir accès
aux originaux (originels et/ou conséquents). L'auteur de
l'original pourra, s'il le souhaite, vous autoriser à diffuser
l'original dans les mêmes conditions que les copies.
3. La liberté de modifier
Vous avez la liberté de modifier les copies des originaux
(originels et conséquents), qui peuvent être partielles
ou non, dans le respect des conditions prévues à l'article
2.2 en cas de diffusion (ou représentation) de la copie modifiée.
L'auteur de l'original pourra, s'il le souhaite, vous autoriser
à modifier l'original dans les mêmes conditions que
les copies.
III. L'INCORPORATION DE L'OEUVRE
Tous les éléments de cette oeuvre doivent demeurer
libres, c'est pourquoi il ne vous est pas permis d'intégrer
les originaux (originels et conséquents) dans une autre oeuvre
qui ne serait pas soumise à cette licence
IV. VOS DROITS D'AUTEUR
Cette licence n'a pas pour objet de nier vos droits d'auteur sur
votre contribution. En choisissant de contribuer à l'évolution
de cette oeuvre, vous acceptez seulement d'offrir aux autres les
mêmes droits sur votre contribution que ceux qui vous ont
été accordés par cette licence.
V. LA DURÉE DE LA LICENCE
Cette licence prend effet dès votre acceptation de ses dispositions.
Le fait de copier, de diffuser, ou de modifier l'oeuvre constitue
une acception tacite.
Cette licence a pour durée la durée des droits d'auteur
attachés à l'oeuvre. Si vous ne respectez pas les
termes de cette licence, vous perdez automatiquement les droits
qu'elle vous confère.
Si le régime juridique auquel vous êtes soumis ne vous
permet pas de respecter les termes de cette licence, vous ne pouvez
pas vous prévaloir des libertés qu'elle confère.
VI. LES DIFFÉRENTES VERSIONS DE LA
LICENCE
Cette licence pourra être modifiée régulièrement,
en vue de son amélioration, par ses auteurs (les acteurs
du mouvement "copyleft attitude") sous la forme de nouvelles
versions numérotées.
Vous avez toujours le choix entre vous contenter des dispositions
contenues dans la version sous laquelle la copie vous a été
communiquée ou alors, vous prévaloir des dispositions
d'une des versions ultérieures.
VII. LES SOUS-LICENCES
Les sous-licences ne sont pas autorisées par la présente.
Toute personne qui souhaite bénéficier des libertés
qu'elle confère sera liée directement à l'auteur
de l'oeuvre originelle.
VIII. LA LOI APPLICABLE AU CONTRAT
Cette licence est soumise au droit français.
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1. Statute of 1709, promulgué en 1710.
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2. György Boytha, "The justification
of the protection of authors' rights as reflected in their historical
development", RIDA, 1992, p. 53 à 100.
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3. Voir l'article de Mireille Buydens dans ce
numéro "Limites du droit d'auteur et art contemporain.".
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4. Voir notamment le dossier de Réseaux
"Droit d'auteur et numérique", Hermès science
publications, Paris, 2001, et sp. J. Smiers, "L'abolition des
droits d'auteur au profit des créateurs", p. 61 et ss.
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5. ibidem.
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6. Eva Bensard, "La Culture n'est pas à
vendre - Vers une convention mondiale pour la diversité culturelle",
in Journal des Arts, 2003, n°165, p. 5.
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7. Pour Raymonde Moulin, la valeur de l'art
est le résultat de la construction réalisée
par plusieurs
intermédiaires, dont les collectionneurs, les marchands,
les galeristes, les conservateurs, les critiques
et donc indissociable
de sa promotion
("Le marché et le musée:la construction des valeurs
artistiques contem-poraines", in "De la valeur de l'art",
Flammarion, 1995.
Voir également Charlotte Bruge, "Art Libre: un enchevê-trement
de réseaux discursifs et créatifs?", mémoire
de DEA Sciences de l'Information et de la Communication, Lille 3,
juillet 2003, 136 p.
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8. Pour une analyse de ces licences d'origine
anglo-saxonne, au regard du droit français: C. Caron, "Les
licences de logiciels dits "libres" à l'épreuve
du droit français", Le Dalloz, 2003, n°23, 1556.
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9. Voir ci-dessous.
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10. Voir l'article de Mireille Buydens,
dans ce numéro.
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11. Bernard Edelman, "L'erreur sur la
substance ou l'uvre mise à nu par les artistes, même!",
Rec. Dalloz, n°7/7104, 13 février 2003, p. 436 à
440 ; Jean-Marie Schmitt, "Les juristes enquêtent sur
l'art contemporain - La définition juridique de l'authenticité
et de l'originalité est mise à mal par la création
actuelle", in Le Journal des Arts, 2003, n°170, p. 10 et
11; Raymonde Moulin, "Le Marché de l'art - Mondialisation
et nouvelles technologies", Flammarion, 2000.
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12. Note Book.
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