Ministère de la Communauté française de Belgique 


l'art même
# 25
 
 
Apparemment léger
Entretien réalisé par Christine Jamart

Jusqu’à la fin novembre, se tient la 3e édition des Semaines européennes de l’Image dont l’intitulé, Apparemment léger, a, en son indéniable actualité de propos, inspiré deux essais livrés en ce dossier. Conversation menée avec les principaux instigateurs du projet, Christian Gattinoni et Paul di Felice.

L’art même : Comment abordez-vous ce thème et, plus précisément, que recouvre cette dichotomie incluse dans l'intitulé ?
Christian Gattinoni et Paul di Felice : La première idée sous-jacente au propos est cette lutte impossible menée pour soustraire les corps à la pesanteur en la défiant et en en déjouant les effets, et cela en réaction à une tendance aujourd'hui à vanter les productions et réactions légères dites “light”. Ce thème s’inscrit également dans la suite de ceux abordés dans les précédentes éditions des Semaines européennes de l'Image. La première édition, Les trahisons du modèle, insistait sur le fait que la photographie trahit ce qu'elle enregistre en même temps qu'elle trahit les modèles artistiques courants. La seconde édition, Le bâti, le vivant, posa la question de comment apprivoiser par la création les lieux où vivre, comment trouver des accords avec les architectures et l'urbanisme. Ici l’on recentre davantage sur l'être et ses réactions en regard d’un certain nombre de lourdeurs et de difficultés. Comment des pratiques artistiques qui ne sont pas uniquement photographiques mais aussi de danse, de vidéo et de multimedia, croisent-elles tout cela ?
AM : Comment mettent-elles le doigt sur, voire comment déjouent-elles les phénomènes culturels émanant d'une culture light ?
CG/PdF : Exactement. Il y a deux types de réaction à cela. Le premier est à la fois critique et ludique, tel la série réalisée par Tom Drahos, “contre culture”, qui tente de mélanger des images du net et des images du grand art prises au Louvre. Le second induit une prise de distance par rapport à des iconographies qui sont celles de la publicité, de la politique, de l'idéologie. Cette démarche oppose des productions qui, en une lecture rapide, peuvent paraître faciles mais qui, en même temps, touchent à des questions de représentation d'aujourd'hui.
AM : Des productions qui utilisent les mêmes outils que ceux qu'elles dénoncent précisément ?
CG/PdF : Qui peuvent utiliser ces mêmes outils. Il y a un autre aspect qui pose la question des standards de représentation du corps. Nombre de femmes retravaillent ces standards-là dans une pratique que l'on pourrait qualifier de “post-féministe”. C'est le cas des deux Polonaises exposées dans le cadre de Nova Polska, Elzbieta Jablonska et Marta Deskur. C’est encore l’orientation que prend l’exposition de Dudelange qui présente des plasticiennes telles Vera Weisgerber qui questionne la notion du gender, et la Japonaise Yoki Onodera. En outre, ces réponses, pour diverses soient-elles, sont souvent actives, avec prise de risques, dynamiques, radicales. Elles n’hésitent pas à se servir de la parodie, du déguisement, de la prothèse, pour réaffirmer d'autres manières d'être aujourd'hui. Un artiste comme Philippe Ramette, par exemple, travaille ces aspects en se mettant lui-même en jeu dans l'utilisation de prothèses artistiques. De telles logiques, dans cette thématique, ont beaucoup rencontré la chorégraphie contemporaine. Les liens aujourd'hui entre la création image et la création dansée sont très forts. Une création d’Hervé Robbe, “Erasing Territory”, nous le rappelle autant que la re-présentation de “ Trajectoire Fluide ” de Kitsou Dubois et Eric Duranteau.
AM : Il y a-t-il des travaux qui vont dans le sens d'un rapport critique à la société de consommation et à ses codes institués ?
CG/PdF : Le travail d'Edouard Levé sur la pornographie et celui de Daniele Buetti sur le marquage des corps par les logos de mode en sont de bons exemples.
AM : Dans les années 90, beaucoup d'artistes se sont confrontés au corps intime et social. Depuis une dizaine d'années, l’on assiste à un décollement vers une esthétique où des choses ont, apparemment, l'air plus légères mais n'en sont pas moins questionnantes.
CG/PdF : Tout à fait. Cela est symptomatique de nouvelles réactions artistiques qui ne sont plus directement militantes ou impliquées mais qui manifestent néanmoins une forme d'engagement. Avec des œuvres qui posent réellement question telles celles de Buetti ou du Polonais Artur Zmijewski avec, notamment, son jeu de chat dans une ancienne chambre à gaz. Le corps de l'idiotie, du burlesque et de la parodie est aussi présent dans cette édition.
AM : La dématérialisation de l'œuvre et la poétique de l’inframince abordées dans une exposition comme Densité +/- 0, sont-elles présentes ?
CG/PdF : L'on a effectivement demandé un texte à l'une des commissaires de cette exposition, Marianne Lanavère. Cela étant, je cite également une autre manifestation, Jour de fête (Centre Georges Pompidou, Paris) qui, en 2000, inaugurait ce type de réaction distanciée.

 

C. Gattinoni est critique d’art, Rédacteur en chef d’exporevue.org et enseigne à l’Ecole d’art du Havre.
P. di Felice est critique d’art, responsable des éditions "Café crème", et enseigne à l'Université de Luxembourg.

 

Apparemment léger.
Semaines européennes de l'Image, jusqu'au 28.11.04.
Le Havre : la Galerie de l'Ecole d'Art du Havre, Centre Chorégraphique National du Havre-Haute Normandie, La Consigne/Gare SNCF, La Maison de l'Etudiant/ Université du Havre, Musée Malraux, L'Endroit/Association des Ateliers Associés.
Luxembourg: Centre Culturel Français du Luxembourg, Chapelle du Rham (Luxembourg), Galerie Nei Licht (Dudelange).
Renseignements : Ecole d'Art du Havre, T +33 (0)2 35 53 30 31,
Café-crème a.s.b.l., T +352 45 46 19.

 

 

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