Ministère de la Communauté française de Belgique 


l'art même
# 26
 
 
HAL FOSTER ET LA CONNEXION DES THEORIES CRITIQUES
par Frédéric Maufras

Théoricien de l'art moderne et contemporain, Hal Foster est l'un de ceux qui a su ces dernières années mettre le plus en lien l'histoire de l'art avec la pensée d'avant et d'après-guerre. Ses essais ont pour singularité d'être le lieu d'une transdisciplinarité minutieusement exemplaire et d'une recontextualisation des enjeux réceptifs et historiques de la création contemporaine.



Hal Foster, Le Retour du réel. Situation actuelle de l'avant-garde (1996), Bruxelles, La Lettre volée, coll. "Essais", 2005, 256 pages.

Le Retour du réel, son premier ouvrage traduit en français, est constitué de sept textes qui analysent des phénomènes aussi cruciaux que l'interdépendance entre modernisme et postmodernisme, le rapport au réel et au cynisme de certains pans de l'art actuel ainsi que la question de l'altérité telle qu'elle s'est déployée ces dernières années.
Ce qui est remarquable est la manière dont Hal Foster parvient à réduire les décalages souvent problématiques entre l'esthétique philosophique et l'histoire de l'art. Grâce à cela, ses essais reviennent sur les contresens opérés par les récits évolutionnistes et sur la nécessité de pourfendre l'historicisme en tant que lecture faussée de l'art, plus particulièrement de celui des quarante dernières années. Quitte à faire appel à des savoirs philosophiques, anthropologiques, ethnographiques, psychanalytiques et sociologiques. C'est ainsi que Benjamin et Lacan sont sollicités pour déceler le rapport d'"après-coup" qui semble régir le passage de la modernité à la postmodernité. La seconde aura permis de mieux comprendre la première, dont elle reprend de nombreux modes opératoires biaisés et actualisés. Mais Foster ne s'arrête pas là, c'est à ce moment que son analyse critique intervient: pour dépasser certaines apories. Dans un essai plus récent (et inédit en français), Design and Crime, il en arrive à considérer le postmodernisme (dont Le Retour du réel nous dit déjà que "traité comme une mode, (il) est devenu 'démodé'") comme un "défaut post-historique de l'art contemporain, (qui) n'est pas une amélioration du vieux déterminisme historiciste de l'art moderniste". À ce dualisme entre deux modes obsolètes, Foster propose donc qu'on objecte désormais deux interrogations: "Qu'en est-il maintenant? Quoi d'autre?". Toute la démarche du théoricien pourrait se résumer dans ce qui mène à ces deux questions simples. Il ne s'agit alors nullement d'opérer une prescription (ce dont devraient convenir avec profit certains "historicistes" par dépit, tant dans l'histoire de l'art académique que dans la critique d'art institutionnelle), mais de nécessaires remises en perspective.
L'autre apport significatif du Retour du réel est d'ausculter les réceptions phénoménologiques de l'art minimal, lesquelles auront caché certains enjeux de ce courant. Il est tout aussi éclairant que l'essai réfléchisse à une importation de la réflexion engagée par Julia Kristeva sur l'abjection en littérature (d'ailleurs il semblerait bien que depuis peu le débat dans les arts visuels commence à s'engager autour de cette problématique). Le seul regret est celui qu'Hal Foster englobe de manière pour le moins controversable le structura-lisme français (d'ailleurs généralement appelé "poststructuralisme" outre-Atlantique) dans une généralisation de l'"après" qui en ferait le pendant théorique des néo-avant-gardes (notamment le pop art et l'art minimal). Or la pensée qui s'est construite dans les années 1960 est certainement loin de partager certains traits de ces courants artistiques et aura sans doute été un cas à part de radicalité, évoluant à l'écart de l'opposition modernité/postmodernité telle qu'elle s'est polarisée dans d'autres champs.
Toujours est-il qu'entendre, en conclusion du Retour du réel, réaffirmer le rôle de la critique d'art en tant que jugement de valeur "actif", c'est-à-dire "distinctif" et surtout "utile", est loin d'être un des moindres apports d'Hal Foster.

 

 

 

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