Ministère de la Communauté française de Belgique 


l'art même
# 30
 
 
Interview Donuts

DONUTS, DECORATION ET SIGNALISATION TEMPORAIRE SUR LA PALISSADE DU CHANTIER " ESPACE DES CREATEURS ",
GALERIES LAFAYETTE, PARIS, 2005. (c) DONUTS.

AM : Racontez-moi vos débuts. A quand remonte le collectif ? Le nom "Donuts" est-il apparu tout de suite ?
DONUTS : Le premier travail conséquent et collectif était pour le groupe Delhaize avec le packaging des quatre cents produits d'entrée de gamme Derby, en 1996. Ce projet nous a regroupés et structurés par le choix d'un bureau commun. L'importance du projet nous a directement placés dans une nouvelle dimension du travail avec une grande visibilité et une responsabilité civique. Cette première aventure a duré jusqu'en 2000. Puis nous avons enchaîné avec, entre autres, la revue d'architecture A+ pendant cinq ans (2000-2005, #163-190). Il y a une dizaine d'années, nous avions d'autres identités. A cette époque, nous travaillions sans nous poser la question de la signature. C'est véritablement avec le catalogue de François Curlet, il y a trois ans, que nous avons signé Donuts pour la première fois. Quelle a été votre première expérience avec le milieu de l'art ? Quand avez-vous choisi de quitter l'espace de l'imprimé pour l'objet ou le mur ?
Aujourd'hui, une histoire se dessine avec différentes personnes du monde de l'art mais François Curlet est le seul plasticien avec lequel nous avons collaboré jusqu'à présent. Il est donc évident que nous n'avons pas de leçon à donner de ce côté-là. Le fait que François nous ait sollicités pour la qualité de notre travail a eu pour conséquence de le percevoir autrement, quand bien même y avait-il d'autres échos favorables. Sa proposition était très claire : reprise à l'identique de la charte Derby pour réaliser un catalogue de ses œuvres, produit industriel en circuit fermé, dont le prix de vente à 15 euros couvrirait l'ensemble des frais. Nous avons été sensibles à la notion de glissement, de déplacement dans ce projet.
Nous éprouvons un grand plaisir à échanger des réflexions sur le signe avec des plasticiens. La première réalisation sur mur était pour Hesbaye Frost (2003). La demande concernait le décor d'un hall de production d'une usine à surgeler des légumes. Dans ce cas précis, le hall s'envisageait aussi en tant qu'espace de communication. L'intervention graphique se devait donc de communiquer aux visiteurs les ambitions de l'entreprise et la qualité du produit, tandis qu'une équipe de deux à six personnes y travaillait. Nous avons réalisé, selon les exigences des normes d'hygiène, une impression jet d'encre sur toile tendue et montée sur châssis aluminium. Une gigantesque illustration d'environ 250 m2, qui représente de manière stylisée une vue aérienne de l'usine entourée des champs, en larges aplats de couleurs vertes. Parallèlement, nous avons réalisé la signalétique au sol, avec le choix de diverses couleurs pour distinguer les zones de production (haute hygiène, passage, dangerosité, etc.).

Réservez-vous un espace expérimental de recherches dans vos activités ? Avez-vous déjà créé une typo ?
Une typo complète, non pas encore, mais nous y réfléchissons. Il y en a déjà beaucoup et ce domaine est tellement riche, un peu comme la couleur dans l'art. Créer une typo est une manière de customiser l'écriture et d'en faire une signature, un point de ralliement. A partir du moment où nous renforcerons la signature de notre travail, oui, c'est envisageable. Ceci dit, nous avons déjà créé des typos pour des logos car nous ressentions une frustration par rapport à ce qui était disponible. Nous optons le plus souvent pour transformer ce qui existe déjà. Pour exemple, Spotless (Spotless for Connoisseurs, Curlet & Donuts, La maison rouge-Fondation Antoine de Galbert, Paris, 2005/06) employait la typo du leader mondial en golf, Titleist. Dans ce cas précis, il s'agissait d'accentuer l'aspect "détournement" dans l'installation. Plus le temps avance, plus nous sommes sollicités dans des projets où notre responsabilité et notre liberté créatrice sont à l'honneur. Sans doute parce que nous ne faisons pas du graphisme inspiré du graphisme mais de beaucoup d'autres domaines. Nous ne produisons pas spontanément de création, au sens "d'œuvre", avec l'intention de la montrer au monde... du moins, pas encore.

Quelle part de liberté critique vous octroyez-vous dans le travail ?
Nous devons faire passer, par le visuel, un message qui n'est pas à proprement parler le nôtre, mais celui du client. Pour y arriver, on cherche le support communicationnel idéal, souvent différent de ce qui est pressenti. Si la demande est un dépliant, la réponse peut être un badge. Non par esprit de contradiction, mais parce qu'après réflexion, il advient que la meilleure solution - celle qui satisfera au mieux le besoin de visibilité d'un produit - se formule dans un objet. Nous tentons de résoudre autrement les problématiques. Pourquoi se cloisonner à l'imprimé ? Le graphisme possède un champ tellement large d'intervention, qui ne se réduit certainement pas à la typo ou la mise en page !

Je vous propose de présenter deux de vos installations à la croisée des arts plastiques et du graphic design : Crème de singe (2004) et l'intervention aux Galeries Lafayette (2005). Dites-moi ce qui vous a particulièrement plu dans chacune d'elles.
Crème de singe est une installation réalisée avec François Curlet, en partenariat avec le MUDAM, dans le cadre de la Nuit Blanche à Paris, en 2004, dans les vitrines du Printemps, boulevard Haussman. La commissaire de l'exposition, Alexandra Midal, avait sollicité François pour le projet. Elle souhaitait que la proposition entre en résonance avec une approche de graphistes. Le dispositif de six vitrines, pensées symétriquement, a été envisagé en un scénario continu. Les deux vitrines centrales, remplies de moniteurs de surveillance montrant les plans fixes du passage de grands singes à l'intérieur du magasin, renvoyaient directement aux quatre autres vitrines transformées en cages d'animaux désertées. A proximité des portes entrouvertes, où régnaient quelques traces de vie comme dans les zoos (entrelacs de cordes, de bidons, ballots de paille, etc.), une plaque informait sur le dispositif mais pas sur le leurre. L'expérience fut magique, le public, quasi euphorique, pensait que des singes en liberté se promenaient dans le magasin. L'aspect direct de l'événement - car il n'y avait qu'une "représentation" - lui a donné le ton d'une performance.
Pour les Galeries Lafayette, Florence Doléac, designer, était chargée du renouvellement de l'Espace Créateurs. Pendant la phase des travaux, à l'été 2005, une palissade masquait le chantier et les collections demeuraient accessibles aux clients dans un espace adjacent dénommé "La galerie des galeries", qui correspond à l'espace d'exposition personnel du magasin. Nous avons été sollicités pour le décor de la palissade et la signalétique temporaire que nous avons pensés en termes ludiques et amicaux. De loin, l'ensemble produit un décorum sympa, non seulement pour ceux qui y travaillent mais aussi les clients. La trame hypnotique en quatre grands posters (posters : 1 x 0,7 m / palissade : 120 x 3,5 m) est très attrayante, elle irradie. Réalisée dans un papier d'aspect luxueux, imprimée en argent, elle dégage une apparence soignée et précieuse, à l'encontre du cliché du chantier sale et bruyant. Sur une idée de Florence, plusieurs œilletons placés dans la palissade permettaient aux curieuses (curieux) de regarder le chantier. Certains viseurs étaient piégés et laissaient voir des images bucoliques décalées (photos anciennes d'une clairière avec une biche, une cascade, une forêt, etc).

DONUTS, " CREME DE SINGE ", EN COLLABORATION AVEC FRANÇOIS CURLET, INSTALLATION DANS 6 VITRINES DU PRINTEMPS DE LA MAISON, NUIT BANCHE, PARIS, 2004.
CURATEUR : ALEXANDRA MIDAL. (c) FRANCIS PEYRAT.

Que vous a apporté l'expérience de ces interventions dans votre travail graphique quotidien ?
Créer de l'image. Ce qui nous intéresse vraiment, c'est de pouvoir créer entièrement du visuel... que ce soit depuis un donut, que nous cuisinons nous-mêmes, jusqu'au choix des bois morts que nous avons ramassés dans la forêt pour Crème de Singe. Tout ce qui touche à la mise en œuvre des pièces et à l'esthétique de ses éléments. Comme dans notre travail graphique pour le choix d'un papier ou d'un autre type de support, sauf que le vocabulaire a changé. Il s'agit de dessiner la réalité, mais dans une autre dimension. Le point de vue différent offert par les interventions a déteint sur le reste de notre travail. Un exemple ? Re(nouveaux) plaisirs d'architecture (2005). Nous avons conçu des affiches pour lesquelles un objet (caisson lumineux) a été spécialement créé. La photographie du caisson en situation dans plusieurs lieux a donné l'image, qui ensuite a été utilisée pour chacune des affiches.

Quel serait votre projet idéal ? Celui qui comblerait vos désirs d'expressions ?
L'identité graphique d'un centre d'art contemporain à Bruxelles (rires). Un catalogue d'artiste ou une collection de catalogues. Ou même, de manière très personnelle et sans passer par une commande, un magazine.

Les Donuts sont : Anne Franssen, Olivier Vandervliet, Nathalie Wathelet. Collaborateur : Philippe Koeune. www.donuts.be 75 avenue Emile Beco, 1050 Bruxelles

 

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