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L'ART À LUI-MÊME: L'ART DE L'ESSAI |
STEPHEN
WRIGHT 1 |
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IMAGINONS
UN COLLOQUE, D'AILLEURS PAS SI IMAGINAIRE, DANS LEQUEL LES PARTICIPANTS,
FAISANT RÉFÉRENCE À DES ACTIVITÉS DE
PLUS EN PLUS IMPROBABLES, DES PHÉNOMÈNES TOUJOURS
PLUS INCONGRUS, SURENCHÉRISSENT: CECI PEUT-IL ÊTRE
DE L'ART? ET CELA? ON TROUVE UNE VARIATION THÉOLOGIQUE SUR
CE THÈME DANS LA ROUTE DES INDES DU ROMANCIER ET ESSAYISTE
E.M. FORSTER, LES MISSIONNAIRES S'EMBROUILLANT DANS UN DÉBAT
SUR LES LIMITES DE L'HOSPITALITÉ DIVINE DANS LES DEMEURES
DE DIEU. POURQUOI S'ARRÊTERAIT-ELLE AUX SEULS ÊTRES
HUMAINS? NE PEUT-IL Y AVOIR UNE DEMEURE POUR LES SINGES?
"
Le vieux Mr Graysford disait non, mais le jeune Mr Sorley, qui était
avancé, disait oui. [
] Et les chacals? Les chacals
étaient, en vérité, moins chers à l'esprit
de Mr Sorley, mais il admettait que la bonté de Dieu étant
infinie, elle pouvait s'étendre à tous les mammifères.
Et les guêpes? Il ne se sentait pas très bien au cours
de la descente vers les guêpes et fut prêt à
changer de conversation. Et les oranges? les cactus, les cristaux,
la boue? et le microbe qui habite Mr Sorley? Non, non, c'est aller
trop loin. Nous devons exclure quelqu'un de notre choix, sans quoi
nous serons laissés sans rien. "
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C'est ainsi, pour mettre fin à la glissade
des valeurs, qu'on transforme l'arbitraire en conventions qui finissent
par s'ériger en normes. Mais la contestation des normes,
ou plus exactement, la mise à l'épreuve de l'éventail
de nos attentes, souvent par l'accomplissement des gestes irréversibles,
est un vecteur important de l'art moderne et contemporain, qui se
détermine à l'aune de ruptures, de réactions
et d'innovations. La circonférence d'inclusion ne cessant
de s'étendre, force est bien de reconnaître que les
critères ne sont plus à chercher dans la notion, même
élargie, de plasticité, mais dans l'espace public
à l'angle droit, pour ainsi dire, de la surface des propositions
artistiques. C'est parce que l'essai sur l'art infléchit
sur l'éclosion des propositions d'artistes en aidant à
déterminer cet espace, qu'il peut nous aider à reformuler
le dilemme du jeune Mr Sorley.
Or maintenant que l'art a perdu son évidence, qu'il se montre
rétif à toute tentative de redéfinition de
ce qu'il est, qu'il ne s'incarne plus en uvres d'art achevées
mais se veut repérable comme processus, la question
la plus pressante paraît moins ontologique: "qu'est-ce
que l'art?", que pragmatique:
"à quoi ça sert?". Question qui interroge
la valeur de l'art pour la vie, c'est-à-dire sa valeur d'usage
- à condition d'entendre par "usage" la manière
dont l'art passe du commun au propre et du propre au commun. Autrement
dit - se contentant provisoirement d'une définition implicite
de l'art: y a-t-il une fonction réflexive et expressive qui
s'accomplit dans tout ce qui relève de l'art, et nulle part
ailleurs?
- Oui, diront les uns, puisque l'art est une pratique autonome,
un mode de production de sens, de connaissances et de formes symboliques,
irréductible à tout autre discipline. C'est un mode
de penser incarné - un penser qui ne "cogite" pas
-, qui ne se laisse appréhender que par une attention proprement
artistique ou en respectant la rationalité qui lui est spécifique.
- Pas du tout, répliqueront les autres, d'ailleurs c'est
méconnaître les enjeux de l'art d'aujourd'hui que de
revendiquer une compartimentation coupant l'art de la vie - le coupant,
autrement dit, du vaste champ d'interrogations qui l'animent. L'idée
reçue selon laquelle l'art est une pratique spécifique
et autonome, si elle est intrinsèque à l'esthétique
kantienne et à la vision muséale de l'art qu'elle
autorise, reste inopérante face à l'art qui se fait.
Certes l'art a une histoire; mais il est loin d'être la seule
activité à même de procurer aux praticiens comme
aux publics une véritable expérience esthétique,
ou de donner lieu à une réflexion sérieuse
et heuristique.
On a souvent évoqué le mouvement mimétique
- "hérétique", dira Adorno - par lequel
l'essai sur l'art s'affranchit du système conceptuel pour
s'aliéner en son objet, dont il est censé déployer
la vérité. Puisque l'art n'est pour l'essayiste qu'un
tremplin à sa démarche questionnante, l'aliénation
est peut-être plutôt feinte que réelle. En tout
cas, l'attitude de l'essayiste est ironique de part en part : ironique,
et à l'égard de l'objet qu'il prétend expliquer,
et à l'égard de lui-même. L'essai, affirme le
jeune Lukacs, "parle toujours des questions ultimes de la vie,
mais toujours sur un ton laissant croire qu'il ne s'agit que de
tableaux et de livres
et qu'il s'agit non pas de leur essence
la plus profonde, mais seulement d'une belle et inutile surface."
En sécrétant une interprétation, l'essai convertit-il
ladite inutilité de l'art en quelque chose d'utile? Toujours
est-il que ce mouvement, où tout concourt vers l'objet -
dont l'essai dépend -, tend à tout ramener à
l'art. Il est, en effet, proprement sidérant de constater
le déploiement massif et proliférant de connaissances
qui sont mobilisées à la seule intention de l'art
- preuve, entre autres, que l'art contemporain, sans doute parce
qu'il relève toujours d'autre chose que de l'art, constitue
un terrain extraordinairement fécond pour l'exercice de la
pensée essayiste.
Jacques Serrano, en créant le Forum de l'essai sur l'art,
et antérieurement Rencontres Place Publique, a réussi
à faire émerger et reconnaître l'essai sur l'art
comme genre qui s'ignorait; mais il s'attachait, avant tout, et
à l'insu de beaucoup, à interroger voire à
révéler une autre fonction, un autre statut de l'artiste.
Il n'affirme pas, par exemple, que l'essai relève de l'art.
Ou plutôt, il se demande à quel titre l'essai ne relèverait
pas de l'art ; et à l'instar de l'essai, en quoi toute une
gamme d'activités humaines extra-ordinaires ne pourraient
être considérées comme relevant de l'art, comme
l'uvre d'"artistes" fort peu préoccupés
à en revendiquer le statut. Ou en tout cas comme des événements
qui répondent à nos attentes de l'art dans un autre
champ d'activité.
Les grands essayistes du XXe siècle formulaient des attentes
souvent exorbitantes à l'égard de l'art, pensant l'uvre
comme le dernier sanctuaire du sens absent de l'Histoire; de sa
précarité même, l'uvre tirerait sa toute-puissance.
C'est sans doute un reste perverti de ces esthétiques emphatiques
qui a poussé un ministre de la Culture à déclarer,
il y a quelques années, qu'il comptait sur les artistes "pour
éteindre les incendies dans les banlieues". Pour sa
part, Jacques Serrano spécule que "les pompiers (firefighters)
sont peut-être des artistes aujourd'hui, mais ni vous ni moi
ni eux ne le savent." Il ne s'agit certes pas de confondre
l'art avec la vie; mais il ne s'agit pas non plus de le confondre
avec
l'art seul. L'essai a toujours pour ambition d'arracher
l'art à lui-même, en montrant la pertinence de l'art
pour la vie, en considérant la vie comme l'élément
le plus pertinent de l'art.
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Du 2 au
5 mai 2002, se tient au Palais de Tokyo (Paris) la quatrième édition
du Forum International de l'Essai sur l'Art. Conçue en 1998 par
Jacques Serrano, cette manifestation publique se veut le rendez-vous
international des auteurs, des éditeurs, des directeurs de collections
et des rédacteurs en chef de revues accordant à l'essai sur l'art
une place privilégiée. Quatre jours durant, les maisons d'édition
ayant un fonds d'essais sur les arts plastiques, l'architecture,
l'image, la musique et la danse, de même que les principales revues
de réflexion sur l'art expose leurs publications. Philosophie,
critique, politique, droit, économie, histoire, anthropologie
et sociologie s'y révèlent autant de modes d'approche de la création
contemporaine, champ de l'investissement d'une "puissance cognitive
et poétique". Un panel d'essais sur l'art récemment parus ou à
paraître en France et à l'étranger est présenté durant ce forum
par leurs auteur et directeur de collection (voir la rubrique
"En toutes lettres").
En outre,
sont organisés deux tables rondes axées sur la question "Est-il
nécessaire de parler de l'art pour répondre aux interrogations
qui l'animent ?" 2
(le 3/05 à 14h00 et à 17h00 avec la participation de Françoise
Gaillard, Francesco Masci, Nicolas Bourriaud, Annie Cohen-Solal,
Pascal-Nicolas Le Strat, Stephen Wright et Howard S. Becker) ainsi
qu'un débat à l'intention des professionnels sur les questions
de cession de droits en Europe (le 5/05 à 14h00, sous la direction
scientifique d'Emmanuel Pierrat, Cabinet Pierrat, Avocats au barreau
de Paris et avec pour intervenants Emmanuel Pierrat, François
Gèze et Maryline Kherlekian).
Autre temps
fort du forum, une table ronde intitulée "L'art a-t-il tous les
droits ?" interrogeant la relation de tension permanente et paradoxale
entre art et droit en la nature à la fois coercitive et protectionniste
de ce dernier et en les composantes éthiques, juridiques et politiques
de leurs rapports convie les interventions de Richard Conte, Agnès
Tricoire, Fai Dawei et Nathalie Heinich (le 5/05 à 17h00, débat
organisé en collaboration avec le Centre d'Etudes et de Recherche
en Arts Plastiques (CERAP) de Paris-I Panthéon-Sorbonne).
Forum de
l'Essai sur l'Art
PALAIS DE TOKYO,
13, AV. DU PRÉSIDENT WILSON, 75116 PARIS,
LES JEUDI 2/05 DE 19H00 À 22H00 (SOIRÉE D'INAUGURATION),
VENDREDI 3/05 DE 13H00 À 20H00,
SAMEDI 4/05 DE 13H00 À 20H00,
DIMANCHE 5/05 DE 13H00 À 20H00.
Pour tout renseignement complémentaire:
Les Rencontres Place Publique,
Direction:
Jacques Serrano,
40, rue Montagne
Sainte-Geneviève,
F-75005 Paris,
T + 33 (0)1 43 54 03 43,
F + 33 (0)1 43 54 12 44, Email:
rencontresplacepublique@yahoo.fr
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1. |
CRITIQUE D'ART, RÉDACTEUR
CORRESPONDANT DE LA REVUE "PARACHUTE"
À PARIS, DIRECTEUR DE SÉMINAIRE AU
COLLÈGE INTERNATIONAL DE PHILOSOPHIE (PARIS)
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2.
"À une époque où la critique d'art différenciée tend irrésistiblement
à s'éclipser au profit d'un discours interdisciplinaire, où l'expérience
artistique ne se laisse plus guère cantonner au sein d'une discipline
quelconque, nécessitant une réfonte de l'architecture sociale des
institutions artistiques, certains diront qu'il est plus que jamais
nécessaire de recentrer le discours sur l'art; d'autres, en revanche,
soutiendront que, débarrassé de son évidence, l'art nous invite
plutôt à questionner les énergies et idées qui lui sont sous-jacentes".
Cette double question est suivie le 4/05 dès 14h00 par trois moments
de réflexions conférence/débats en partenariat avec le Collège International
de Philosophie autour de concepts communs à tous les champs de pensée
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